Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
HISTOIRE DU PARNASSE

rien[1] ». Ils raillent l’émotion chez Lamartine ; volontiers ils diraient avec Sainte-Beuve :

Lamartine ignorant, qui ne sait que son âme. Poètes savants, ils ne veulent pas se raconter eux-mêmes, et ils préparent ainsi la réaction symboliste. N’est-on pas tenté de donner raison contre eux à Samain, quand il écrit à Charles Guérin, à propos de son poème, Le Cœur solitaire : « Je sens, et avec une irrésistible évidence, que c’est là toute votre âme, sincère, tendre, et comme vous le dites si bien, mélancoliquement passionnée. Or, il n’y a point d’autre voie, et c’est là le secret à trouver : dire son âme[2] ». L’émotion n’est pas forcément la source de vers flasques et mous ; elle peut s’exprimer en vers impeccables, nous faire vibrer, nous soulever, nous grandir ; Mme de Noailles dit, très heureusement : « en nous faisant participer à une douleur qui n’est pas notre douleur, en nous situant sur un sommet dont nous n’avons pas eu à gravir les pentes déchirantes, le poète nous dote soudain de sentiments sublimes[3] ». Heureusement pour eux et pour nous, les Parnassiens ne sont pas des impassibles, mais des impeccables, comme leur Maître. Ils se distinguent de lui par une faiblesse : ils n’ont pas sa force, son stoïcisme ; ils déclament comme lui contre le public, mais ils voudraient bien conquérir les bourgeois sans leur faire trop de concessions. Ils répètent les formules méprisantes de Leconte de Lisle sur le succès banal, mais c’est du bout des lèvres : au fond du cœur ils souhaitent de réussir, même auprès des philistins. Après la reprise triomphale d’Hernani, dit André Theuriet, « nous nous étions tous remis au travail, et la ruche du passage Choiseul recommençait à bourdonner… Quant à moi, j’étais revenu à la prose… La plupart d’entre nous avaient à cœur de sortir de l’obscure pénombre où nous reléguaient les dogmes un peu étroits de l’école[4]… ». Le Parnasse Contemporain de 1866 fut le premier effort collectif des jeunes poètes pour arriver à la pleine lumière.


  1. Promenades, V, 50.
  2. Supplément littéraire du Figaro, 5 novembre 1927.
  3. Préface au livre de Paul Faure, Vingt Ans d’intimité avec E. Rostand, p. iv.
  4. Souvenirs, p. 253.