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LE PARNASSE

Qu’est-ce que cette Yamî, et qu’est-ce que ce Yamâ ? Ils sont jumeaux. La sœur désire devenir la femme de son frère en vertu de ce souhait formulé par leur ancêtre, avant leur naissance :


Quand nous donnions encore au ventre originel,
L’aïeul parla : « Vêtus d’une splendeur égale,
Soyez époux, dit-il. Que la sœur conjugale
Sans fin demeure unie au mari fraternel. »


Ces deux derniers vers sont un tour de force joliment réussi ; mais à quoi bon cette virtuosité de forme, puisqu’on ne comprend rien à ce dialogue ? Si l’on n’a pas à ses côtés un élève de Rabindranah-Tagor comme interprète, on en est réduit à supposer que le pandit Mendès se moque de nous, comme le brahmine Leconte de Lisle avec ses kalahamsas. Du reste, satisfait de la place qu’il s’est taillée dans le recueil, Mendès se désintéresse bientôt de la publication. Le livre paraît cahin-caha en dix-huit fascicules, du 2 mars 1866 à la fin de juin. L’affaire se solde par une perte de deux mille francs ; et pourtant les collaborateurs ne sont pas payés, sauf Baudelaire et Leconte de Lisle[1]. Mais qu’importe à cette jeunesse désintéressée ? Elle a poussé son cri de guerre, elle a engagé la bataille, avec tant d’énergie que l’harmonieux Sainte-Beuve essaye de calmer les combattants. Il écrit à Verlaine, après les Poèmes Saturniens, le 10 décembre 1866 : « j’aime, comme emblème et image, vos stances de Çavitri, et le vers qui termine :


Mais comme elle dans l’âme ayons un haut dessein.


C’est le cas maintenant d’appliquer et de pratiquer ces nobles stances, puisque une guerre, me dit-on, est engagée[2] ». Elle s’annonce même impitoyable : à Barbey d’Aurevilly qui proteste contre l’absence de Lamartine, X. de Ricard répond froidement, le 30 octobre 1866 : « il est vrai que nous n’avons rien demandé à M. de Lamartine qui, selon M. Barbey d’Aurevilly, — a le fier honneur de ne plus être populaire parmi nous[3] ». Le grand poète a-t-il daigné protester lui-même contre cette proscription brutale ? On trouve dans son Cours familier de littérature des réflexions générales sur les erreurs de la critique qui pourraient bien être une riposte dédaigneuse[4]. À coup sûr nous pouvons reprendre pour

  1. X. de Ricard, Le Petit Temps du 3 décembre 1898.
  2. Correspondance, II, p. 112.
  3. E. Lepelletier, Verlaine, p. 194.
  4. Entretien cxxxiv, 1867 ; t. Ier, pp. 87-88 ; Entretien clxvii, 1869, pp. 303-312.