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LE PARNASSE

tiché et rimé avec une patience chinoise[1] ». Cris de colère, ricanements, plaisanteries vulgaires, parodies fines, tout cela a beau faire masse et blesser : les Parnassiens se contentent de serrer les rangs[2]. À la reprise d’Hernani en 1867, un journaliste officiel, vexé de voir ces jeunes gens applaudir Hugo contre l’Empire, s’écrie : — quel tas de vilains bonshommes ! — Comme les Gueux d’autrefois, les Parnassiens accueillent l’insulte par des huées, puis s’en parent comme d’un titre, et fondent séance tenante le Dîner des Vilains Bonshommes ; la première réunion a lieu rue Cassette, à l’Hôtel Camoëns, dans une petite cour décorée de caisses de fusain : le menu est maigre, en harmonie avec les porte-monnaie qui sont plats ; mais au dessert, pendant que, dans le crépuscule, tintent les cloches de Saint-Sulpice, Coppée lit son poème d’Angélus[3].

Que peuvent les béotiens, les prosaïstes, et les esprits secs, contre la poésie jaillissante ? Les jeunes accourent au bruit des beaux vers. Les vrais poètes vont à ceux qui se sont délivrés d’un genre périmé, et cessent de plagier Lamartine, Musset, même Hugo. André Lemoyne a conté cet affranchissement dans un poème symbolique : les hirondelles demandent aux cygnes sauvages pourquoi ils ne descendent pas vers les cygnes domestiques, nés en captivité ; les oiseaux libres répondent que tout au contraire, ce sont les esclaves qui, d’en-bas, regardent avec envie passer la troupe affranchie :



Ils ont senti leur âme et leur fierté revivre…
Pris d’une sainte fièvre ils brûlent de nous suivre…
Nous les voyons d’en haut quand ils prennent l’essor.
Leur pauvre aile engourdie, et qui tremble d’abord,
Comme une voile enfin largement se déploie.
Ils montent… de lumière et d’air pur enivrés.
Nous les encourageons par de longs cris de joie,
Et chantons l’hosanna des cygnes délivrés[4].



  1. Zola, Documents Littéraires, p. 176 ; Edmond Rousse, Lettres à un Ami, II, 409.
  2. Mme Adam, Mes Sentiments, p. 105.
  3. Theuriet, Souvenirs, p. 251, 253.
  4. Roses d’Autan, p. 85.