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XXV
INTRODUCTION

gereuse, non moins que les banalités psychologiques à la mode ; vous vous êtes contentée d’être émue et d’émouvoir[1]  ».

Étant donné cette intimité de leurs âmes, Jean Dornis aurait pu nous donner sur le poète l’étude psychologique la plus profonde. Malheureusement l’auteur de l’Essai, qui a eu à sa disposition les confidences du poète, ses papiers inédits, des notes biographiques autographes, ne s’en est pas servi avec toute la précision désirable : pourquoi nous dire que le jeune étudiant est resté trois ans à Rennes lorsqu’il est prouvé qu’il y resta six ans ; qu’il est reparti pour Bourbon en 1841, quand c’est en 1843[2]  ? Pourquoi surtout nous dire qu’il a évoqué dans Le Soir d’une bataille le souvenir de son neveu Alfred, tué en 1870 à Toul, quand la pièce est de 1860[3]  ? D’autres erreurs sont tendancieuses : au lieu de nous parler uniquement de Leconte de Lisle, Jean Dornis éprouve le besoin d’exposer ses théories personnelles, et de commenter la pensée du poète, qui nous intéresse, avec ses propres idées, qui sont moins intéressantes. Ainsi le discours de l’évêque Cyrille voulant convertir Hypatie, dans les Poèmes antiques, lui semble l’image de l’éloquence religieuse actuelle : « à l’entendre, ne croirait-on pas écouter, à la veille d’une élection générale, quelque prédicateur ecclésiastique moderne, expliquant à ses ouailles que la doctrine chrétienne… est une assurance pour ceux qui possèdent contre les révolutions qui viennent d’en-bas[4] ? » Je ne sais dans quelle église Jean Dornis a entendu semblables propos, mais je sais que la pensée de Leconte de Lisle est faussée ; de son effort vers la poésie historique on veut faire une déclamation primaire. De même l’anticléricalisme de Jean Dornis se réjouit à la pensée de découvrir « un lien occulte entre les préoccupations religieuses du poète et le modernisme[5]  ». Un pareil anachronisme ferait sourire, si l’on ne souffrait pas plutôt de voir ainsi travestir les idées de Leconte de Lisle. Ailleurs enfin, c’est pis : le poète patriote est trahi quand, s’appuyant uniquement sur son pamphlet, l’Histoire Populaire du Christianisme, son commentateur parle de « la certitude où il était que l’esprit de soumission dont la religion catholique fait un devoir à ses

  1. Le Temps du 21 juillet 1894.
  2. Tiercelin, Bretons de lettres, p. 4-6.
  3. Jean Dornis, Hommes d’action, p. 108 ; G. H. Lestel, Revue, 1925, p. 130.
  4. Essai, p. 211.
  5. Ibid., p. 241 ; cf. p. 237, 244.