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LE PARNASSE

mêmes, à travers l’air qu’il a trouvé ; ce qui produit un effet de vague d’autant plus délicieux que le vers de notre poète est particulièrement fait et très précis, toute flottante que veuille être parfois sa pensée[1] ». On peut admirer ce procédé dans Les Filaos. La merveille ! Dierx a voulu rendre le chant monotone d’une forêt sur la montagne, là où n’arrive plus aucune rumeur humaine ; où seuls les arbres vibrent sur une note tenue. Mais comment donne-t-il cette impression de mélopée continue, à travers tant de détails divers ? C’est que, de distance en distance, reparaît le même vers, à peine modifié, refrain de la chanson des filaos :


Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables…
Pareil au bruit lointain de la mer sur les plages…
Comme les bruit lointain de la mer dans la rade…
Pareil au bruit lointain de la mer sur les côtes…
Pareil au bruit lointain de la mer sur les rives…
Pareille au bruit lointain de la mer sur les grèves…
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables.


Ces sept refrains, répartis dans les soixante-huit vers de la pièce, la coupent en sept stances irrégulières, presque imperceptibles, de cinq, dix, huit, dix, dix, dix et quatorze vers, plus un vers final d’une ampleur admirable :


Et plus haut que les cris des villes périssables,
J’entends votre soupir immense et continu,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
Qui passe sur ma tête et meurt dans l’inconnu.


Dierx s’est bien gardé de livrer son secret au premier lecteur venu, en mettant des blancs bu des chiffres entre ses stances, en finissant ses périodes lyriques par le vers fondamental, surtout en terminant la pièce par ce vers-refrain : cela tournerait à la chanson de Béranger. Il ne chante que pour les auditeurs capables de deviner l’effet qu’il a cherché. Enfin, comme le créole exilé de son île a voulu ajouter au souvenir de cette harmonie lointaine le charme d’une plainte nostalgique, il répète encore quatre fois, dans la profondeur de ce poème, un second thème conducteur, rappelant 1.

  1. Verlaine, V, 340-341. Dans le supplément littéraire du Figaro du 19 janvier 1929, M. Léon Lemonnier blâme Verlaine d’avoir ignoré l’influence de Poe sur Dierx. On peut répondre que Verlaine a eu raison d’ignorer ce qui n’existe pas.