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LE PARNASSE

mènera tout droit à ce qui est pur, à ce qui est bon, à ce qui est généreux, brave, noble, héroïque ou difficile ; elle mène jusqu’à Dieu ! — Que ce soient mes dernières paroles : il n’y a de durée, de vie, de bonheur, que dans la beauté[1] ! » Jose-Maria a-t-il vraiment entendu pareil couplet en quittant Cuba ? À coup sûr, sa vie d’homme et son œuvre d’artiste semblent bien la réalisation de cet idéal. Cœur d’or, âme exquise, il passa dans le monde en n’y voulant voir que la Beauté, uniquement poète, comme les chanteurs de la légende, beau ainsi qu’il convient à ces princes charmants que sont les vrais poètes[2]. N’en faisons pas un de ces êtres falots que rêve Théodore de Banville ; il sait, quand il le faut, démasquer les fausses beautés d’un geste sec : « Luchon, écrit-il à un ami, est un café-concert entouré d’un décor montagneux peint par Rubé et Chaperon. Ça a l’air faux. Je m’y ennuie fort[3] ».

Il n’admet pas non plus les engoûments d’école, ni les éreintements de parti pris. Il confesse, au Parnasse, son admiration totale pour l’auteur du Lac : « Victor Hugo est un grand poète, Lamartine est la Poésie. Le Lac résume tous les chants d’amour qu’on a pu écrire. C’est beau en soi », affirme-t-il avec autorité[4]. Il a le mérite, dans un milieu hypercritique, de garder le sens du respect. Présenté au grand Théo, Heredia lui parle avec une courtoisie cérémonieuse. Gautier se prend d’une amitié si brusque pour le cavalier-poète, qu’il se met de suite à le tutoyer : « Heredia, je t’aime, parce que tu portes un nom exotique et sonore ! » Puis il lance le débutant ; dans un article sur un recueil collectif, Sonnets et Eaux fortes, il le met en lumière : « Don Jose-Maria de Heredia a fait un sonnet d’une tournure aussi hautaine que son nom, et dont les vers se contournent superbement comme les lambrequins d’un cimier héraldique[5] ». C’est avec Th. Gautier que Heredia commence ses caravanes. Il lit La Comédie de la Mort ; au début, dans Le Portail, il admire


Les chevaliers couchés de leur long, les mains jointes,
Le regard sur la voûte et les deux pieds en pointes…
Un lévrier sculpté vous lèche le talon…


  1. Le Séducteur, p. 121.
  2. Hanotaux, Sur les Chemins de l’Histoire, II, 278-279 ; Mme Demont-Breton, Les Maisons, II, 110.
  3. Revue, 1926, p. 323 ; cf. Ibrovac, p. 252.
  4. Albalat, Revue Hebdomadaire, 4 octobre 1919, p. 42 ; cf. Ibrovac, p. 568.
  5. Journal Officiel du 17 janvier 1869, p. 68 ; cf. H. de Régnier, Th. Gautier et J. M. de Heredia, dans les Débats du 22 août 1911.