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HISTOIRE DU PARNASSE

n’est absolument pas un vers : il est impossible de le dire prosodiquement. On hésite entre Di-ego et vi-andes. Vous prononcez évidemment vi-andes, et je crois qu’il y a en cela une erreur formelle ». Heredia corrige :


Le vieux Diego Laynez ne goûte plus aux viandes.


Il avait mis ensuite :


Il ne dort plus depuis que son chef blanc branla,
Et que son front rougit par le soufflet du Comte,
Que, pour être sans force il a dû garder là.


Leconte de Lisle redouble ses annotations : « Blanc branla ne fait pas une bonne consonnance. Je sais qu’une consonnance rude, heurtée, peut produire, à l’occasion, un excellent effet ; mais ici le son est mou et gênant. En outre, branla ne rend pas la commotion reçue par une personne vivante ». Docile, Heredia renonce au fâcheux blanc-branla. Leconte de Lisle continue : Vous semblez dire qu’il a reçu le soufflet sur le front. Le dernier que, dans votre esprit, se rapporte évidemment à soufflet, mais, dans la logique de la phrase, il pourrait se rapporter à comte. Dans tous les cas, le sens est trouble, si ce n’est douteux. Enfin, songez que plus la langue est rude, plus il est nécessaire qu’elle soit claire et correcte. Vous allez me trouver fort pédant, et plus sévère pour vous que je ne le suis pour moi-même ; mais, au fond, la question se réduit à savoir si j’ai tort ou raison ». En pareil cas, Anatole France protesterait contre son « bon maître », et le traiterait, in petto, de pion. Heredia trouve que son sévère ami est parfaitement dans le vrai, et met à profit toutes ces remarques :


Il ne dort plus, depuis qu’un sang honteux marqua
La joue encore chaude où l’a frappé le Comte,
Et que, pour se venger, la force lui manqua.


Au lieu de se vexer en petit esprit, il réclame, à l’avenir, d’aussi bons conseils ; à propos de la pièce qui s’appellera plus tard Le Triomphe du Cid, il écrit à son mentor, le 25 septembre 1882 : « j’ai essayé de narrer en tierces-rimes Le Mariage du Cid… Je vous montrerai ce que j’en ai fait, et prendrai vos bons avis sans lesquels il me semble de plus en plus impossible de mettre mon nom sous un alexandrin[1] ».

  1. Ibrovac, p. 146.