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LE PARNASSE

Cette obéissance n’a rien de servile, et ne porte que sur les questions de forme. Heredia sait que les balances de précision du Maître excellent à distinguer une pièce fausse d’un bon louis d’or. Mais il n’accepte pas la tyrannie philosophique du nouveau Lucrèce, et ses déclamations contre Dieu. Le paganisme de Leconte de Lisle lui semble parfois une scie d’atelier : « il y a dans ce noble poète, dit Barrès en témoin qui a vu et entendu, certains éclats, des truculences pour étonner le philistin. Heredia excellait à remettre les choses au point. Parfois, après des tirades d’un pittoresque féroce… contre la religion, et quand nous étions ébahis, l’auteur des Poèmes Tragiques rencontrait le regard joyeux de l’auteur des Trophées, et, s’interrompant de prophétiser, il riait comme un boulevardier[1] ». L’obédience de Heredia envers le chef ne va pas jusqu’à la capitulation religieuse ; il aime le vieil incrédule, mais il ne dissimule pas sa foi devant lui. Il ne craint pas de raconter que, jeune, il a été « clergeon ». Du château de Bourdonne il envoie à une de ses filles, le 14 juillet 1905, deux mois et demi avant sa mort, ces lignes qui sont les dernières qu’il ait écrites : « le dimanche nous allons à la messe, et je me divertis à regarder les grimaces des enfants de chœur, calottés et vêtus de rouge ; et je me souviens qu’il y a plus d’un demi-siècle, j’ai, moi aussi, porté la soutane écarlate et l’aube blanche, et que j’encensais mon vieux professeur qui me paraissait alors si vieux. Que c’est loin…[2] ! » Heredia est un être charmant, obligeant, bon camarade, fier des succès des autres, se peignant tout entier dans cette lettre qu’il écrit à Coppée, le 15 janvier 1869, au lendemain du triomphe du Passant : « dans la franche et sincère accolade que je vous donnai hier soir du meilleur de mon cœur, je n’ai pu vous dire toute la joie que me donnait votre éclatant succès, et tout le bien que je pense de votre adorable comédie. J’ai été, comme tous ceux qui avaient eu le plaisir d’entendre Le Passant de votre bouche, singulièrement frappé de la science scénique qui éclate dans votre premier ouvrage. Je n’ai pas applaudi comme un ami, mais comme tout le public enchanté de cette charmante poésie et de l’instinct dramatique que témoigne ce petit chef-d’œuvre[3] ». L’éloge sonne franc, sans

  1. Journal Officiel du 19 janvier 1907, p. 432.
  2. Ibrovac, p. 198.
  3. P. p. Monval, Correspondant du 25 janvier 1924, p. 320 ; cf. Mme Demont-Breton, II, 105.