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LE PARNASSE

du monde. Cela leur imposera de la considération ; soyez sûr qu’ils vous écouteront ». Une autre fois on lui rompt en visière devant M. et Mme Leconte de Lisle : un parnassien du Danube lui fait remarquer que sa définition des gens du monde, des élégants, est désobligeante pour tous les habitués du salon, même pour les maîtres de la maison[1] ! Le bon apôtre prétend que les Parnassiens se contentèrent, pour toute vengeance, de le désigner entre eux par ce sobriquet raffiné : ὁ ἄνθρωπος τοῦ ϰόσμου ! Ménard dut soupirer de tristesse devant la faiblesse en grec de ses élèves, lui qui savait le sens de ϰόσμος[2]. Mais l’étiquette reste attachée dans le dos du gentilhomme espagnol. Et pourtant, partout ailleurs, il séduit les gens les plus prévenus contre lui par sa politesse de bon aloi et sa simplicité. À la maison de campagne des Demont-Breton, couché sur l’herbe, il raconte, une fois de plus, l’histoire de son aïeul, compagnon de Pizarre ; puis, changeant de sujet, mais non de ton, il continue, avec sa pompe et son aisance ordinaire : « Que dites-vous, mes chers amis, du complet de drap gris-perle que j’étrenne aujourd’hui en votre honneur ? N’est-il pas d’une suprême élégance ? Admirez-le ! Trente et un francs soixante-quinze aux magasins des Trois-Quartiers[3] ! » Malheureusement, Calmettes n’est pas là, et les vengeances contre l’homme du monde continuent, en s’exacerbant. Chez Leconte de Lisle, ou chez Banville, après avoir loué son art, sa facture sonore, la splendeur de son style, ils aiment à poser ce problème : comment peut-on être poète à ce point, avec une telle absence de pensées ? Quelques-uns vont jusqu’au coup de Jamac, et insinuent que c’est Leconte de Lisle qui fait les sonnets d’Heredia[4]. Le plus venimeux de tous est encore Anatole France[5].

Heredia ne se fâche pas. Il s’appuie sur l’estime de Leconte de Lisle et sur la conscience de son talent. Les trois Parnasses sont la triple consécration de sa valeur. De tous les sonnets qu’il y publie, deux seulement n’ont pas été reproduits dans Les Trophées ; le sonnet des Scaliger est pourtant le superbe reflet de ses impressions de voyage à Vérone : il les raconte à sa mère dans une lettre dont la prose contient les traits principaux de cette poésie. Pourquoi

  1. Calmettes, p. 205-208.
  2. Dans sa Morale avant les Philosophes, p. 72, il traduit ce mot par : harmonie universelle.
  3. Mme Demont-Breton, p. 152, 107, 183-184.
  4. Calmettes, p. 209-210.
  5. Brousson, Itinéraire, p. 168-169 ; France, La Révolte des Anges, p. 17.