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HISTOIRE DU PARNASSE

réticence sournoise ; Coppée, touché au cœur, lui rendra ses compliments beaucoup plus tard, vingt-cinq ans après, à l’Académie : il lui parle de la satisfaction avec laquelle les Parnassiens prononçaient son nom, sonore et glorieux, « qui aurait fait si bonne figure dans les tirades blasonnées d’Hernani ». Le bon Coppée, qui prête ses sentiments aux camarades, parle même du respect avec lequel ils admiraient son illustre extraction : « les poètes, vos amis, n’ignoraient pas que vous étiez issu de la meilleure noblesse d’Espagne, que vous sortiez d’une antique souche dont une branche avait pris racine et fleuri dans le sol brûlant de l’île de Cuba[1] ». Quelle candeur ! les fiers plébéiens du Parnasse, ces farouches démocrates, raillent la fierté nobiliaire du hidalgo, et savourent ce quatrain anonyme, qui est de Ratisbonne :


Tu crois descendre du routier
Qui conquit jadis Carthagène.
Détrompe-toi, bel indigène :
Tu descends de ton cocotier[2].


La camaraderie parnassienne, qui est réelle, comprend plusieurs étages : on est bon camarade sur le même palier, à talent égal ; on se jalouse d’un étage à l’autre. L’excellent Heredia excite contre lui des jalousies enfiellées ; nul n’a été plus raillé, plus moqué que lui, pour ses qualités, son mérite, et aussi, avouons-le, pour un léger défaut : il ne ménage pas les amours-propres ; il ne songe pas assez, en faisant montre de sa fortune, que les autres ne sont pas riches, et que, suivant leur plaisanterie mélancolique, ce sont des demigueux ; lui, il étale la splendeur de ses cravates, la coupe irréprochable de son pantalon ; il professe que s’habiller chez un bon tailleur est la première condition pour être un homme du monde, et qu’il faut l’être, ou n’être rien. Quand il fait l’éloge d’un absent, il met toujours comme point final : — Et puis, c’est un homme du monde ! — Agacés, les Parnassiens commencent à raconter des histoires : un jour que Leconte de Lisle se plaignait des libertés que les acteurs se permettaient en disant ses vers, et de leur dédain pour ses observations, Heredia se serait écrié : « laissez-moi vous accompagner au théâtre. Ces cabots s’apercevront que vous êtes avec un homme

  1. Discours du 30 mai 1895 ; cf. H. de Régnier, Revue de France, 15 avril 1929, p. 742-743.
  2. Laurent Tailhade, Les Commérages de Tybalt, p. 183.