Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
LE PARNASSE

forme première que cinq vers intacts ; quatre vers ont été complètement refondus ; deux autres sont remaniés presque entièrement ; trois enfin présentent des corrections. Ailleurs, c’est une lettre supprimée, une virgule ajoutée, qui changent le sens, le mouvement, et suffisent à créer une beauté nouvelle : dans La Chasse, publiée au Parnasse de 1866, nous lisons :


C’est l’heure flamboyante où, par les hautes herbes,
Bondissant au milieu des molosses superbes,
Dans les clameurs de mort, le sang et les abois,
Invincible, Artémis épouvante les bois[1].


En quoi les molosses sont-ils superbes ? N’est-ce pas une « bourre » pour la rime ? Le bon ouvrier se courbe sur son établi, et, en deux coups de ciseau, fait sauter la cheville :


C’est l’heure flamboyante où, par la ronce et l’herbe,
Bondissant au milieu des molosses, superbe[2]


Une édition critique des Trophées pourrait seule montrer comment le feu de l’art élimine toutes les scories, et nous donne enfin le bloc pur de tout alliage, scintillant. Si par malheur quelque faute d’impression vient déparer tant d’efforts, Heredia se fâche. La veille de la publication de l’édition princeps, le poète relit Carolo Quinto Imperante :


Castille a triomphé par cet homme, et ses flottes
Ont sur lui complété l’empire sans pareil.


Heredia pâlit, et écrit à l’imprimeur : « Page 114, vers 10 : ont sur lui (au lieu de sous). C’est idiot. Le livre est déshonoré… Que le diable vous emporte[3] ».

Le livre paraît, et c’est presque l’unanimité dans l’admiration. Tous les critiques dont l’avis compte, épuisent le vocabulaire de l’enthousiasme, Catulle Mendès, Chantavoine, Bourget, Verlaine, etc.[4] M. Maurras constate cette unanimité, et y voit la faillite du goût contemporain[5]. Comme il est difficile de nier ou de diminuer la perfection de cet art, les jaloux essayent de se rattraper en

  1. Parnasse, pp. 274-275.
  2. Ibrovac, p. 425.
  3. Ibrovac, p. 190.
  4. Mendès, La Légende du Parnasse, p. 259 ; Chantavoine, Histoire de la Littérature française dirigée par Petit de Julleville, VIII, 43 ; Bourget, Essais de Psychologie contemporaine, II, pp. 131-132 ; Verlaine, Œuvres, V, p. 468.
  5. Barbarie et Poésie, pp. 3-4, 26 sqq.