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LE PARNASSE

plus le même talent : l’ancien poète a soixante-cinq ans, et il est peut-être présomptueux de dire, à cet âge :


Est-ce aussi ton automne, Amour ?… Oh !… pas encore[1] !


Pourquoi le Parnasse lui a-t-il offert une place ? C’est probablement dans l’espoir d’avoir un bon article ; ou bien c’est une amabilité de Banville, qui se déclare son disciple. Enfin, il avait fait jadis les strophes à la Rime. — Que se passa-t-il ensuite ? Je l’ignore, mais Calmettes prétend qu’un jour Leconte de Lisle courut derrière le secrétaire de Sainte-Beuve, le gratifia d’un coup de pied « entre les deux gîtes », et le chargea de le reporter « sur l’aloyau » de son maître[2].

Le Comité du passage Choiseul put croire qu’il avait la main plus heureuse en accueillant Soulary, l’ancien collaborateur de La Revue Fantaisiste[3]. Celui-ci, en venant au Parnasse, ne faisait que rentrer chez lui, dit poliment Ricard qui veut voir en Soulary un précurseur de l’École[4]. Sainte-Beuve ne l’avait-il pas sacré sonnettiste impeccable[5] ? Baudelaire lui-même s’était montré si aimable pour le poète lyonnais que Soulary, frémissant de joie, lui écrivait, le 22 février 1860 : « vous voulez bien me reconnaître un air de famille avec vous, et vous me tendez la main comme à un frère. Merci, cher Maître ! je retiens votre main dans la mienne[6] ». Il l’eût bien vite retirée, s’il avait pu connaître cette autre pensée de Baudelaire : « Lyon est une ville philosophique. Ville singulière, pleine de brumes et de charbons ; les idées s’y débrouillent difficilement. Tout ce qui vient de Lyon est minutieux, lentement élaboré et craintif ». Puis, précisant sa thèse par les noms de Laprade et de Soulary, il conclut : « on dirait que les cerveaux y sont enchiffrenés[7] ». Pauvre Soulary ! Au lieu d’envoyer quelques jolis sonnets, il n’expose que deux idylles campagnardes, finissant en élégie. Décidément l’escouade des poètes consacrés n’était pas d’un grand renfort

Mais les jeunes étaient nombreux, vivants, pleins de promesses. Parmi eux, il convient de mettre à part, au premier rang, Georges

  1. Parnasse, p. 290.
  2. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 77.
  3. Dans le numéro du Ier octobre 1861, il avait publié une série de sonnets : Figulines.
  4. Le Petit Temps du 6 décembre 1898.
  5. Cf. J. Tellier, Nos Poètes, p. 72-73.
  6. Crépet, Baudelaire, p. 428-429 ; Œuvres Posthumes de Baudelaire, p. 302, 304-306.
  7. Œuvres, III, 132.