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HISTOIRE DU PARNASSE

Coppée : « j’ai vu Aicard, qui fait le trouvère avec succès. On lui a donné ici, à une représentation, une énorme lyre en papier doré. Une lyre ! vous avez bien lu[1] ! » À distance on devine contre lui des ironies parisiennes ; les camarades font un succès à la définition méchante de Barrès : le premier poète français par ordre alphabétique[2]. Cela n’enlève rien à son talent, très réel, mais qui ne se développera que plus tard. Qui croirait, à lire ses croquis du Midi dans les Parnasses de 1869 et de 1876, qu’il pourrait écrire un jour son délicieux poème de Miette et Noré, et surtout, dans son admirable Jésus, les Pèlerins d’Emmaüs qui ouvrent l’œuvre ? Il a fait son apprentissage dans l’atelier de Leconte de Lisle.

Grâce au Parnasse, et à une longue patience, il a pu forcer les portes de l’Académie. Pareille chance n’échut pas à Eugène Manuel qui du coup, et je ne sais pourquoi, en resta un peu ridicule. Au Parnasse, on ne prend pas toujours au sérieux ce grave professeur. L’indulgent Théo cite de lui, avec une ironie discrète, « les Pages Intimes…, ouvrage couronné par l’Académie[3] ». Un autre indulgent, Théodore de Banville, se moque cruellement de lui, à un dîner offert par Jules Breton, chez Magny : il amuse ses voisins de table en le mystifiant, en lui assurant qu’il est l’ennemi des audaces de prosodie, de l’enjambement en particulier, etc. Et pourtant Jules Tellier admirait fort Manuel, à juste titre[4]. Un soir, devant Coppée, Heredia, Theuriet, Lemoyne, Lafenestre, Sully Prudhomme, Manuel récite sa Petite Mendiante, et on la trouve adorable[5]. Du reste, il n’a pas à se plaindre de l’École : on lui accorde six pages au Parnasse, et il les remplit bien : dans Le Moule brisé, il trouve à dire, sur la douleur, quelque chose de nouveau, et qui est vrai ; de même, réfléchissant sur le salut de la foule à l’enterrement qui passe, il a une idée qui n’est pas banale : un homme vil, méprisé, que nul ne reconnaissait plus, vient à mourir :


Dans l’ombre s’est éteint le sinistre vieillard ;
Là-bas, furtivement, s’enfuit le corbillard :
Pas un ami ne suit sa mémoire abhorrée.
Mais, — ô respect des morts, culte grave et profond ! —
Au milieu des saluts la dépouille ignorée
S’avance, et les plus purs se découvrent le front !


  1. P. p. Monval, Correspondant du 25 juin 1927, p. 923.
  2. H. Clouard, La Poésie, p. 127.
  3. Rapport, p. 379.
  4. Nos Poètes, p. 105-106.
  5. Mme Demont-Breton, II, 195.