Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
317
LE PARNASSE

Petit poète, si l’on veut, par l’esprit, Manuel était grand poète par le cœur, et le prouva deux fois : chef de cabinet du Ministre de l’instruction Publique, il demanda à Th. Gautier le livret d’un ballet, Le Preneur de Rats de Hammeln, avec une forte subvention payée d’avance. Il fit mieux, à la mort du pauvre Théo : de sa propre autorité, sans consulter son ministre, il accorda les funérailles aux frais de l’État que Maurice Dreyfous était venu solliciter pour son ami[1]. Les Parnassiens les plus ironiques auraient moins discuté la valeur d’Eugène Manuel s’ils avaient été au courant ; mais ils n’aimaient pas les professeurs.

Emmanuel des Essarts s’en est bien aperçu. Il a pourtant, sous l’Empire, une certaine situation littéraire ; Alphonse Daudet en dit du bien[2] ; Armand Silvestre lui dédie ses Fantaisies Célestes ; Frédéric Plessis en fait un éloge superbe :


Salut, fils heureux de la Grèce
Ô frère du poète André[3] !


Théophile Gautier est plus écrasant encore : « il vole à plein ciel, chassant devant lui l’essaim des strophes, et ne redescend que sur les cimes[4] ». On croirait vraiment qu’il est question de Lamartine ou de Hugo. Tout de même, E. des Essarts a un certain talent, mais il le dessert lui-même par toutes sortes de menues disgrâces : il est trop petit pour sa largeur, avec des bras trop courts, et cela gêne son action, ses gestes ; quand il dit des vers, et il en dit trop volontiers, il se balance comme dans une escarpolette ; il tourne et retourne ses mains, il bredouille ses vers ; il souligne trop exactement leur cadence, tout en roulant des yeux implorants et tristes. C’est un ami qui le décrit ainsi[5]. On devine ce que peut dire un ennemi, surtout quand il s’appelle Anatole France. Il fait d’Emmanuel des Essarts, ou, comme il dit de préférence, du petit Essarts, rageant de ne pouvoir dire des vers à la fin d’un banquet, un portrait charge qui est une de ses meilleures eaux-fortes[6]. Il en parle comme d’un bien petit compagnon. Il est vrai que son envoi au

  1. Ce que je tiens à dire, p. 305-307, 331 sqq.
  2. Trente ans de Paris, p. 93-94.
  3. Poésies Complètes, p. 120.
  4. Rapport, p. 378.
  5. Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 37, 64-65, 67, 175, 181, 281.
  6. G. Girard, La Jeunesse d’Anatole France, p. 230-231 ; cf. les lettres familières de Gautier, publiées par H. Boucher, au Mercure de France, no  du 15 mai 1929, p. 111.