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LE PARNASSE

Si le pays résiste à cet effroyable désastre, il aura de terribles comptes à demander aux misérables qui l’ont conduit là[1] ». Il fait encore un progrès : il renonce aux récriminations ; il n’y a plus qu’un ennemi à combattre, et c’est l’ennemi du dehors. Soulevé par la résurrection du patriotisme ambiant, il décrit à Foulques l’âme de Paris : « cent mille républicains sont prêts à prendre une part énergique à la défense de la ville, ce qui n’était pas le cas il y a trois jours. Un élan général a succédé à la torpeur des uns, aux rancîmes des autres ; les haines politiques font place à la rage contre l’invasion[2] ».

Un instant il songe, effort méritoire, à mobiliser ses vers contre les Barbares. À l’étonnement des Parnassiens, il sort de son impassibilité, et s’efforce de jouer au Tyrtée[3]. Mais il ne s’abuse pas sur la résonance de sa corde d’airain. Il écrit à Heredia, le 11 février 1871 : « Lemerre a publié beaucoup de vers pendant le siège, vers patriotiques, anecdotiques, démocratiques, civiques et militaires. Tout cela est assez mauvais, sans en excepter vingt-cinq strophes que j’ai commises pour donner à Agar l’occasion de sonner du clairon en conseillant aux Parisiens de mettre le feu aux quatre coins de la ville. Il est bien entendu que mon conseil n’a pas eu de succès[4] ». Aussi se garde-t-il de faire entrer ces strophes dans ses œuvres d’art ; il ne fait d’exception que pour Le Sacre de Paris[5]. La pièce est médiocre, sans doute, parce que ce genre le dépasse, mais on sent qu’elle n’a pas été écrite de chic, et que cette description de la plaine contemplée du haut des remparts est une chose vue. Il passe ses nuits d’hiver aux bastions, sans abri pendant ses heures de garde ; de là, cette lettre d’octobre : « je vous prie de croire que les détonations sont horriblement lugubres dans le silence des fortifications ; si j’en réchappe, il m’en restera de profondes impressions[6] ». Mais bientôt le dégoût de certaines promiscuités refroidit son ardeur de soldat républicain : il écrit à Heredia en février : « j’ai passé… bien des nuits dans les casemates, couché dans la paille, au milieu de la plus dégoûtante canaille que l’on puisse rêver[7] ». Et puis, c’est l’armistice de Versailles, la signature

  1. Dornis, Hommes d’Action, p. 106.
  2. Id., ibid., p. 106-107.
  3. Theuriet, Souvenirs, p. 300-301.
  4. Ibrovac, p. 560.
  5. Poèmes Tragiques, p. 133.
  6. Dornis, Hommes d’Action, p. 107-108.
  7. Ibrovac, p. 561.