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HISTOIRE DU PARNASSE

chement attaché à ses convictions… Il meurt enveloppé dans les plis du drapeau… Somme toute un beau type de Français. Honneur à sa mémoire[1] ! » C’est ce que dit, avec quelques réserves de lettré, Henri Chantavoine[2]. Enfin, un bon poète, Charles Le Goffic, refuse de dire du mal de ce grand cœur :


Comme d’autres le fanatisme de la Croix
Il eut, lui, la folie insigne de la France[3].


Il y a plus de valeur d’esprit à défendre une réputation attaquée par des conjurés qu’à répéter une formule courante ; c’est un cliché de nier la valeur artistique des Chants du Soldat, de dire que ça n’existe pas. Pourtant leur auteur a pour lui le signe à peu près certain du talent : la modestie. En 1879, l’Académie devait décerner pour la première fois le grand prix quinquennal de dix mille francs ; on prononçait des noms, entre autres celui de Déroulède ; le Secrétaire Perpétuel reçut du neveu d’Émile Augier cette lettre, probablement unique dans les archives de l’Institut : « mon oncle m’apprend que mon nom est mis en avant pour le prix Jean Raynaud : je suis, vous n’en pouvez pas douter, profondément sensible à la haute bienveillance que me témoignent ceux des membres de l’Académie qui ont bien voulu… parler pour moi ; mais ces flatteuses sympathies ne sauraient faire que j’aie à cette récompense littéraire les titres hors ligne qu’elle exige. Le Poète-Soldat ne se sent pas assez poète pour une pareille consécration, et il est trop soldat pour admettre que jamais aucun prix soit dû au patriotisme ». Quinze ans après, les Chants du Paysan sont couronnés, et Camille Doucet, donnant lecture de la lettre de 1879, conclut : « l’Académie décerne le prix Jean Raynaud à M. Paul Déroulède, qui n’a plus le droit de s’en croire indigne[4] ». Sans nous demander combien de Parnassiens auraient été capables de cet héroïsme littéraire, tâchons d’évaluer la valeur artistique de ces Chants. On a dit que, seuls avec les chansons de Béranger, ils avaient touché l’âme populaire : c’est vrai, et c’est bien quelque chose. On a dit encore qu’il y avait là plus d’éloquence que de lyrisme ; c’est vrai, et c’est dans la tradition de Malherbe. On a dit enfin qu’on rencon-

  1. Rocheblave, Louis de Fourcaud, p. 399.
  2. Dans l’Histoire de la Langue et de la Littérature française dirigée par Petit de Julleville, VIII, 59-60.
  3. Figaro du 19 novembre 1927.
  4. Le Temps, supplément du 23 novembre 1894.