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HISTOIRE DU PARNASSE

Une nouvelle génération de poètes entre au salon de l’École des Mines. Anatole France amène Rollinat, dont la mimique extraordinaire jure avec les habitudes du Cénacle. Auguste Dorchain apparaît, pensif, modeste, et plein de talent. Paul Bourget fait sensation à sa première visite ; voici son pastel par Mlle Breton : « très jeune encore, vingt-deux ans peut-être, et remarquablement beau : un profil de berger antique, moustache naissante, cheveux longs naturellement ondulés, regard rêveur… Sa voix était très harmonieuse. Tout en l’écoutant, je regardais son pur profil, en si parfait accord avec les paroles opalines qu’il prononçait ». Il raconte d’abord son dernier voyage : il revient de Grèce ; épris de longue date de l’art hellène, il a vu les belles choses qu’il connaissait déjà par les livres ; il a fait aussi des découvertes. Ses auditeurs, qui connaissent déjà la vie inquiète, et qui l’apprécient, lui demandent de l’inédit ; il dit, d’une voix harmonieuse à laquelle l’émotion ajoute son charme, une promenade en barque sur un étang. Leconte de Lisle a son sourire des bons jours, et, de temps en temps, dit à mi-voix : — Beaux vers ! — Marras, à la belle tête brune, pareil à un mousquetaire d’Alexandre Dumas, fronce le sourcil, dans son attention passionnée. Frédéric Plessis, un nouvel habitué, doux, timide, écoute, le regard tendu vers l’au-delà. Anatole France semble aux aguets. À peine le dernier alexandrin a-t-il expiré au milieu des applaudissements, que France se lève, s’avance, et coupe l’enthousiasme : — Mon cher, j’ai noté un pléonasme : mirage décevant. Un mirage est toujours décevant. — Bourget a beau se défendre, alléguer qu’on a le droit de renforcer un substantif par une épithète analogue, France s’obstine : — Pléonasme ! pléonasme ! Ce que je dis là, c’est la vérité vraie ! — Et Bourget de crier à son tour : — Pléonasme ! pléonasme I La vérité est toujours vraie ! — Plessis défend Bourget, et trouve chez les poètes indiscutés, vénérés de tous, nombre de cas semblables. Alors on interroge Zeus Olympien, qui calme les courages émus : « Mes enfants, vous avez tous raison, mais le vers est trop délicat pour que je conseille de le retravailler : il y a des fleurs qui se fanent quand on y touche ». La conversation rebondit et se généralise : doit-on peindre le passé, ou la vie moderne ? Devant l’auteur des Poèmes Antiques Bourget ne craint pas d’affirmer, respectueusement, sa préférence pour le présent : — Tacite, Musset, Shakespeare, Lamartine, Hugo, ont tous été de leur temps. J’estime que nous devons