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LE DISPERSION

monie et du sens. Le rendre en même temps musical et fidèle à la pensée est le signe d’une possession accomplie de notre art[1] ».

Telle est l’esthétique, approfondie qu’il apporte au Parnasse où son arrivée excite une sorte d’étonnement. Il est bien, il est presque trop bien : Theuriet et Verlaine en donnent deux instantanés qui se superposent et se complètent : beau jeune homme grave, grand, fluet, d’une élégance sévère ; une épaisse chevelure brune, soignée, qui ondule ; une barbe châtain, très fine, qui lui donne un peu l’air de Musset. Les yeux bleu clair, virils et doux, pleins d’une tendresse rêveuse. La voix est mélodieuse, câline, vibrante parfois. Sa conversation est d’un attrait exquis. L’ensemble est charmant, « comme une suave mélodie de Mozart, comme une limpide matinée d’été », conclut Theuriet[2]. On devine l’effet qu’il produit quand il dit un poème d’une voix presque grave, aux sonorités atténuées, accompagnant sa déclamation d’un geste sobre, marquant le rythme et le sens, sans les souligner[3]. C’est ainsi qu’il fait entendre ses poésies chez Leconte de Lisle, à qui il est présenté vers 1865. Mais bien vite il préfère être auditeur et s’asseoir sur les bancs comme les autres écoliers. En écoutant le Maître dire ses vers ou critiquer ceux qu’on lui soumet, il pénètre plus avant dans les secrets de cet art où il s’était déjà engagé seul[4]. Il sait tout ce qu’il doit à Leconte de Lisle, et d’abord la révélation de l’éminente dignité de la poésie dans le monde. Aussi est-il heureux de voir Coppée, en tête de son Reliquaire, payer au Maître la dette de tous les Parnassiens. De Rome, où il a reçu le livre, il envoie, le 2 décembre 1866, ses remerciements et ses félicitations à l’auteur : « ce que nous devons tous à Leconte de Lisle pour la conscience d’expression, la fierté du vers, et, pardonnez-moi un mot trop discrédité, pour la noblesse de la pensée, est incalculable. Aussi ai-je vu avec joie que vous lui avez dédié votre livre, hommage auquel Lafenestre et moi nous nous associons de tout cœur ». Dans la même lettre un post-scriptum prouve le respect particulier qu’il professe pour le chef du Parnasse : « Veuillez me rappeler au souvenir des camarades et de Monsieur Leconte de Lisle[5] ». Trente-

  1. Lya Berger, Débats du 7 septembre 1927.
  2. Souvenirs, p. 230-231 ; Verlaine, IV, 333-334 ; Claretie, Revue de France, Ier mai 1924 p. 13-14 ; {{sc|Goncourt, Journal, VIII, 282 ; Mme A. Daudet, Souvenirs, p. 219 ; Mme Adam, Mes Sentiments, p. 37.
  3. Calmettes, p. 269.
  4. Gaston Paris, Revue de Paris, 15 octobre 1895, p. 771-772.
  5. P. p. Monval, Correspondant du 25 septembre 1927, p. 821. 26.