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HISTOIRE DU PARNASSE

du Passant, mais les regards sont gênés, les sourires faux : « les Mérovingiens se montraient maintenant à l’égard du jeune poète tels qu’ils devaient être pour un confrère qui réussissait, c’est-à-dire sévères jusqu’à la cruauté… S’il plaisait tant aux Bourgeois, il était — fi ! l’horreur ! — un bourgeois lui-même. Aussi, depuis quelque temps, les tables des poètes, au Café de Séville, avaient été transformées en lits de torture sur lesquels les poèmes d’Amédée Violette étaient étendus et garrottés tous les jours de cinq à sept, et soumis à la question extraordinaire[1] ». Coppée prend sa revanche ; exagère-t-il ? Il dit la pure vérité, puisque l’interprète ordinaire des intransigeants du Parnasse, Calmettes, expose exactement les mêmes critiques, mais en les approuvant[2]. Coppée se refuse à citer des noms propres ; Calmettes nous en donne un : le chef des conjurés, c’est Villiers de l’Isle-Adam ; quand on parle devant lui du talent de l’auteur du Passant, il se fâche, il crie : « Qu’est-ce qu’il a créé, Coppée ? des types, ou des marionnettes ? » Un des « camarades » se croit obligé tout de même de défendre un peu l’absent ; Villiers se dresse de toute sa hauteur, et, de nouveau, crie : « Citezmoi seulement un beau vers de Coppée… Un seul !… Un seul !! » Et l’autre, naturellement, ne trouve rien dans sa mémoire. Certes, affirme Calmettes, ce n’est pas jalousie ; mais ils regrettent de voir le succès consacrer un talent qui est à l’opposé de leur doctrine, puisqu’il fait applaudir l’émotion banale, le sentimentalisme vulgaire[3]. Et voici que peu à peu le succès du Passant devient un échec pour le Parnasse. Coppée voit des compagnons d’armes se détacher de lui, et le traiter en déserteur. Chose plus cruelle, il est, dit Theuriet, « amèrement jalousé par de vieux maîtres qu’il admirait, lui, dans la simplicité de son cœur, et qui, eux, ne lui pardonnaient pas d’avoir réussi là où ils avaient échoué[4] ». Puisque Theuriet reste dans le vague, précisons son pluriel : il n’y a plus que trois vieux maîtres : Gautier, Banville, et Leconte de Lisle. Théo, nous l’avons vu, célèbre avec une joie sincère le triomphe du Passant. Banville n’est pas envieux non plus : il constate que Coppée a eu de la chance, mais comme tous les hommes supérieurs : « il y a toujours un Passant au début des existences prédestinées[5] ».

  1. Toute une Jeunesse, p. 191-192.
  2. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 172, 175.
  3. Calmettes, ibid., p. 177-178, 173.
  4. Souvenirs, p. 266-267.
  5. Critiques, p. 421.