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LE DISPERSION

Le jaloux, c’est donc l’auteur des Érinnyes. Bien entendu, Leconte de Lisle se garde de discuter la valeur dramatique du Passant, mais il profite d’une occasion, d’un à-côté. Hors de sa présence, Coppée, qui a des mots drôles, définit l’œuvre de Walter Scott : de la littérature de dessus de pendule. Un bon camarade, connaissant la vieille admiration de Leconte de Lisle pour l’auteur d’Ivanhoë, s’empresse de rapporter le mot au Maître, et la colère accumulée éclate en une virulente tirade se terminant par cette vengeance : « notre ami pourra se battre longtemps les flancs avant d’écrire seulement Quentin Durward ou L’Antiquaire[1] ! » Toutes les rancunes de Leconte de Lisle contre un disciple hétérodoxe, qui a quitté la petite chapelle parnassienne, et qui a trop bien réussi, finirent par se résumer dans un coup de foudre : un jour, M. Louis Barthou, qui lui parlait poésie et poètes, prononça le nom de Coppée : « la réponse fut rapide et cinglante, amère et définitive : — Monsieur, M. François Coppée, poétiquement parlant, est un âne[2] ». Décidément, suivant le mot de Lepelletier, Coppée n’est plus assez « hindou » pour le Parnasse[3]. Il ne va plus à la Mecque, où on le traite en infidèle.

Cela devait arriver par la force des incompatibilités d’idées ou de sentiments. Coppée ne sent pas en Parnassien. Au fond, il est romantique, et il veut avoir le droit de défendre Hugo, son Dieu, contre le dieu concurrent, Leconte de Lisle. C’est un hugolâtre, au milieu des hommes qui bêchent Hugo. À la reprise d’Hernani, il n’applaudit pas comme les autres pour conspuer le second Empire, mais pour exalter Hugo[4]. On sent une véritable passion dans cette rêverie devant le portrait peint par Bonnat :


C’est Hugo ! c’est bien lui ! Quelque puissante idée
Occupe en ce moment cette tête accoudée :
Un noble songe emplit son œil terrible et doux,
Et, dans ce front pensif qui nous domine tous
Et, comme les vieux monts, a de la neige au faîte,
Se forment en secret les grands vers de prophète…
Il est bien ressemblant. C’est le maître lui-même !
Aussi le siècle entier, qui l’admire et qui l’aime,


  1. Calmettes, p. 102-103.
  2. L. Barthou, Conferencia du Ier mai 1925, p. 456.
  3. Verlaine, p. 205.
  4. Monval, Revue Hebdomadaire, 4 juin 1910, p. 85.