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LE DISPERSION

les plus respectueux de Leconte de Lisle ? Sa meilleure qualité, c’est le respect des maîtres, même quand ils ont vieilli : il voit à Pau, en mars 1870, Alexandre Dumas père : « il est bien vieux, bien éreinté, mais c’est tout de même la ruine d’une grande imagination : à ce titre il est vénérable[1] ». Aussi est-il un peu surpris, devenu maître à son tour, que les jeunes le traitent, parlant à sa personne, avec la plus cavalière désinvolture[2]. Ce n’est pas que lui-même ne se permette, dans sa correspondance intime, quelques plaisanteries amicales sur le traducteur d’Eschyle : il annonce à G. Monval qu’on va jouer au Théâtre Français un Œdipe, « Oïdipous, comme dit Leconte de Lisle[3] ». On voit d’ici le sourire un peu narquois, en songeant au Maître. Mais quelle délicatesse dans tous ses procédés pour le grand ami. En août 1885, Leconte de Lisle pose sa candidature au fauteuil de Victor Hugo, pendant une villégiature en Bretagne. À son retour à Paris, il voit arriver aussitôt Coppée et Sully Prudhomme qui, déjà académiciens, n’admettent pas que leur maître vienne leur faire la visite de rigueur, avec l’obséquiosité forcée du candidat[4]. Coppée fait mieux : voyant que Leconte de Lisle est toujours gêné, tandis que, lui, il gagne largement sa vie, grâce à ces succès de foule que le Parnasse lui a reprochés, Coppée offre au Ministre de l’instruction Publique sa démission de sous-bibliothécaire au Sénat, à condition qu’on nomme à sa place Leconte de Lisle[5]. Jules Simon accepte, et le bénéficiaire aussi, sans témoigner, nous l’avons vu, une bien chaude reconnaissance au bon Coppée ; celui-ci attendit la mort du dur Maître pour en témoigner quelque chagrin[6]. Ses actes parlaient pour lui ; mais d’autres étaient plus adroits en paroles : à l’ami sûr, et méconnu, Leconte de Lisle a, longtemps, préféré Anatole France.


  1. Lescure, François Coppée, p. 462 » ; R. D. D.-M., 15 juillet 19x1, p. 392.
  2. Goncourt, Journal, IX, 199.
  3. Correspondant du 10 juin 1912, p. 868.
  4. Dornis, Essai, p. 331.
  5. Druilhet, p. 18.
  6. Mon Franc-Parler, III, 68.