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LE DISPERSION

pièce qu’il compose, le 4 décembre 1865, après une représentation de Phèdre :


Dis-nous, dis-nous souvent tes épiques douleurs,
Ô fille de Minos ; rends-nous et ces beaux pleurs
Que tu mêlas jadis à la source limpide
Où, sous les peupliers, t’évoquait Euripide,
Et les pleurs pénitents qu’en regardant les cieux
          Racine a versés dans tes yeux[1].


Il admire encore, à la Béchellerie, le maître dont il a voulu posséder toutes les éditions : « C’est mon poète préféré. Je le lis toujours, et je le sais presque par cœur. La nuit, quand je ne dors pas, je me récite à moi-même les passages que je préfère ». Il aime tout en lui, et particulièrement son hellénisme : « c’est le plus grec de nos poètes, déclare-t-il ; tout le charme de l’antique Hellas est passé dans ses vers. Seuls les incomparables maîtres de Port-Royal ont pu donner à leur élève une si complète connaissance du génie grec[2] ». Peut-être y a-t-il dans cet éloge un peu d’ironie francienne contre quelqu’un : mettre si haut l’hellénisme de Racine, c’est probablement rabaisser le grécisant Leçon te de Lisle. Mais, au moment où nous sommes, à l’entrée de France au groupe parnassien, il n’est pas encore question d’ironies ; c’est même un très modeste compagnon : il pénètre au Parnasse par la petite porte.

Au passage Choiseul, il fréquente d’abord le rez-de-chaussée, la boutique du libraire. Il se présente à Lemerre comme fils du bouquiniste Thibault. Il rédige pour son patron des plaquettes de bibliophilie, qu’il n’a pas le droit de signer[3] ; puis il monte en grade, et devient lecteur, assez mauvais lecteur même, parce qu’à cette époque-là il est encore paresseux ; il tient mal ses engagements, et se fait rabrouer d’importance par l’éditeur[4]. En 1867, il fait la connaissance de Mendès ; il est autorisé à gravir l’escalier tournant qui monte à l’entresol parnassien[5]. Enfin, il est admis au salon de Leconte de Lisle, mais là ses débuts sont presque fâcheux : le fils du petit libraire est gauche, timide, silencieux ; il se tient assis au second rang ; il passe toute la soirée sur sa chaise, sans oser se

  1. G. Girard, La Jeunesse, p. 175 ; cf. Ségur, Conversations, p. 119.
  2. Le Goff, Anatole France, p. 241, 58.
  3. Ricard, La Revue, Ier août 1912, p. 302, 311 ; Bulletin du Bibliophile, 1923, p. 260.
  4. Goudeau, Dix ans de Bohème, p. 143 ; Roujon, La Vie et les Opinions, p. 9-10.
  5. G. Girard, La Jeunesse, p. 221 ; M. Corday, Anatole France, p. 55-56 ; {{sc|Ségur, Conversations, p. 173.