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XXXIV
HISTOIRE DU PARNASSE

rément, à chaque signataire, deux pages prises aux Châtiments, signées V. H., où il a souligné de sa main le vers connu :


Et s’il n’en reste qu’un,, je serai celui-là[1].


Leconte de Lisle n’a pas signé. Il est bon diplomate : quand il s’agit de publier le premier volume du Parnasse contemporain, il trouve de bonne guerre d’enrôler deux vieux romantiques ; Stéphane Mallarmé est envoyé à Versailles, au nom du groupe, pour demander aux deux frères Deschamps leur collaboration au Parnasse. Leconte de Lisle, le 29 septembre 1865, remercie lui-même Émile Deschamps de la plus courtoise façon : « Cher Monsieur et cher Maître, Stéphane Mallarmé m’a remis hier l’aimable et charmante lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je vous remercie bien vivement, et nous vous en remercions tous. Comment aurions-nous pu oublier, sans ingratitude et sans impiété poétiques, que vous nous avez enseigné, un des premiers, les secrets de l’art véritable ? Croyez, cher et excellent Maître, que nous sommes de ceux qui conservent du moins, au milieu de leurs défaillances, le respect et la reconnaissance dûs à leurs anciens, à leurs initiateurs, et à leurs guides[2] ».

Tout cela c’est de la poudre aux yeux des naïfs. Les bons provinciaux, peu au courant, prennent ces éloges protocolaires pour des actes de foi. Un petit parnassien, professeur à Cannes, Bellet, dit à Mme Adam, tout ému : « Ah ! si Victor Hugo était en France, celui dont les Parnassiens disent : « toute poésie vient de lui et retourne à lui », qu’il aurait tôt fait de les mettre en belle lumière !

— Ce jour là, répond Mme Adam très au courant des dessous littéraires, ce jour-là Leconte de Lisle qui n’aime guère V. Hugo, s’écarterait d’eux… Les Parnassiens n’ont besoin aujourd’hui de personne[3] ». L. de Lisle pense, en effet, qu’on n’a plus à ménager les grands romantiques ; il entreprend contre eux, dès 1864, dans Le Nain jaune, une campagne à fond. Le seul qui semble épargné, traité avec quelques égards, c’est Alfred de Vigny, parce qu’il n’a pas été populaire, et qu’il a souffert, comme Leconte de Lisle, de cette indifférence de la foule. Encore Vigny se voit-il durement malmené pour avoir osé intituler une série de quelques pièces

  1. Theuriet, Souvenirs, p. 250-252.
  2. H. Girard, Un Bourgeois dilettante, p. 511.
  3. Mes sentiments, p. 105-106.