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LE DISPERSION

de l’ère chrétienne x. C’est la même doctrine dans Le Venusberg[1] ; A. France magnifie Tannhäuser qui, n’ayant pu obtenir son pardon de Rome, retourne à Vénus ; il blâme le Pape qui n’a pas eu la manche assez large :


Il ne faut pas ainsi désespérer les âmes ;
Si ceux-là sont damnés qui furent amateurs
Du parler clair et du clair sourire des dames,
Hélas ! le Paradis n’aura plus de chanteurs[2].


La même thèse est reprise tout au long dans Les Noces Corinthiennes dont la première partie paraît dans le Parnasse de 1876. De tous les poèmes d’Anatole France c’est le plus parnassien, car c’est surtout là qu’on peut constater l’influence de Leconte de Lisle ; Mendès seul se refuse à la reconnaître, obsédé par son désir de diminuer le trop puissant maître : il définit l’auteur des Noces « un poète racinien à la façon d’André Chénier[3] ». C’est une simple logomachie ; pour s’en convaincre il suffit de lire la courte préface du poème : c’est la pure doctrine parnassienne, c’est la philosophie même de Leconte de Lisle, c’est sa théorie sur la science et la religion, nuancée d’un peu de respect ironique : impie, France parle avec piété de la religion ; il lui préfère la science, mais, dit-il, « c’est une pensée peu scientifique de croire que la science puisse un jour remplacer la religion. Tant que l’homme sucera le lait de la femme,… il rêvera. Et qu’importe que le rêve mente, s’il est beau ? » Il n’est pas jusqu’à la Maïa, chère à Leconte de Lisle, qui ne finisse par apparaître : « N’est-ce pas le destin des hommes d’être plongés dans une illusion perpétuelle ? Et cette illusion n’est-elle pas la condition même de la vie ? » Dans Les Noces, aussi bien que dans La Révolte des Anges, il reprend à son compte l’Hypatie de Leconte de Lisle[4].

L’influence subie par France est visible jusque dans l’emploi des noms calqués sur le grec :


Au long des jours de miel et des heures amères
Suis doucement le fil que te tournent les Mœres[5].


  1. Revue de Paris du 15 novembre 1928.
  2. Poésies, p. 82.
  3. Rapport, p. 159.
  4. La Révolte des Anges, ch. xviii ; cf. Massis, Jugements, I, 759.
  5. Poésies, p. 171.