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HISTOIRE DU PARNASSE

cienne salle Gerson, où les Parnassiens avaient organisé des lectures ; c’est le premier pas de France vers la faveur du public, comme aussi vers la perfection parnassienne[1]. Il devient sévère pour lui-même ; il brûle un recueil, Statues et Bas-Reliefs, qui ne le satisfait plus ; il n’en garde qu’un sonnet, La Mort de César ; encore ne l’admet-il pas dans l’édition définitive de ses poésies, se reprochant de l’avoir reproduit dans la première édition des Poèmes Dorés[2].

Ce volume, dédié à Leconte de Lisle « en témoignage d’une vive et constante admiration », contient mieux que des vers : de la vraie poésie ; ainsi, pour rendre les sourdes inquiétudes d’une femme qui soupire, éprise de l’amour, il a ce vers vraiment fluide :


Elle laisse errer son regard couleur de mer[3].


La forme est souple, mais parfois l’inspiration est inquiétante. France reprend l’idée de Victor Hugo dans Les Voix Intérieures ; rêvant sur l’avenir de Paris abattu par les siècles, Hugo aperçoit encore l’Arc de Triomphe, la Colonne Vendôme, Notre-Dame, c’est-à-dire la gloire militaire, le génie, et l’art religieux. Dans sa Vision des Ruines, Anatole France, devant Paris réduit au sort de Ninive ou d’Ecbatane, ne voit subsister que la femme de Carpeaux au guichet du Louvre :


C’est un corps de femme accroupie,
Un corps lascif, jeune et lassé,
Qui fut sans doute caressé
Par le regard d’un siècle impie[4].


Déjà la hantise chamelle, qui chez lui ira croissant avec l’âge, apparaît ici, et reparaît dans La Prise de Voile[5]. On a voulu, avec quelque vraisemblance, expliquer tout Anatole France, art, philosophie, religion, par la révolte de sa sensualité contre les ennemis de la chair, principalement contre le christianisme[6]. C’est bien là le sens de sa Leuconoë surtout si on la lit encadrée dans sa conférence de Rio de Janeiro sur les dieux asiatiques du premier siècle

  1. Poésies, p. 120 ; Calmettes, p. 306.
  2. Revue, 1926, p. 480.
  3. Poésies, p. 44.
  4. Poésies, p. 42.
  5. Poésies, p. 251-258.
  6. Michaut, Anatole France, p. 273-313.