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LE DISPERSION

« contaminée » ? Kallista a lu Shakespeare, et cite, discrètement, du Macbeth, quand elle dit à sa fille :


Et toi-même, qui donc, en tes jours de langueur,
Du vin spirituel viendrait nourrir ton cœur
Affaibli par le lait de la tendresse humaine[1] ?


Quant à l’auteur, il a lu, pour écrire ce drame pseudo-grec, Les Martyrs, et surtout Atala ; toute l’intrigue des Noces est empruntée à Chateaubriand : la chrétienne Kallista, gravement malade, et voulant obtenir de Dieu sa guérison, fait le vœu que sa fille Daphné prendra le voile ; elle demande en outre, que si sa fille viole ce vœu, l’enfer ne soit que pour elle, Kallista. Daphné, qui aime Hippias, ne voit pas d’autre remède que le suicide. C’est exactement le nœud du roman de Chateaubriand, et son dénoûment : la mère d’Atala lui dit, pour forcer sa volonté : « Songe que je me suis engagée pour toi…, et que si tu ne tiens pas ma promesse, ce sera moins toi qui seras punie, que ta mère dont tu plongeras l’âme dans des tourments étemels[2] ». Atala s’empoisonne, et Daphné suit son exemple. Les Noces Corinthiennes sont du Chateaubriand, et non du christianisme, car c’est du Chateaubriand et, en plus, de la haine pour l’Église. Quel rôle joue ici le christianisme ? En face du paganisme incarné dans l’ardent et bel Hippias, dans le bon vieillard Hermas, la foi est représentée par deux femmes et un évêque : Kallista est une matrone égoïste et hystérique ; Daphné, victime des idées religieuses de sa mère, est une étrange chrétienne : elle veut célébrer son mariage avec Hippias à la païenne, à la romantique, dans le tombeau de famille. Elle discute religion avec son fiancé qui l’engage à renoncer à son christianisme : pauvre d’esprit, voici tout ce qu’elle trouve à lui répondre :


Christ Jésus doit un jour ressusciter les siens :
Voilà ce que du moins enseignent les anciens.
Homme, tu peux tenter d’éclaircir ce mystère.
Moi, femme, je dois croire, adorer, et me taire.
Christ est le Dieu des morts…


L’évêque Théognis devrait la renvoyer à son catéchisme, et même le réapprendre pour son propre compte, car il bénit, sans l’ombre

  1. Poésies, p. 145.
  2. Atala, p. 130-131 (Fontemoing, 1906) ; cf. V. Giraud, R. D. D.-M., Ier octobre 1915 p. 598.