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HISTOIRE DU PARNASSE

d’un scrupule, l’union d’un païen et d’une chrétienne. On s’aperçoit très vite, à la lecture, que le poème a été composé pendant que l’auteur de La Vie de Jésus écrivait ses Origines du Christianisme, et sous leur influence[1]. Mais la palette de France est moins brillante : il assombrit encore le crépuscule de Renan. On l’a entendu déplorer la sombreur d’une église, et, avant même d’en être sorti, s’écrier : — Que cet art chrétien est donc triste[2] ! » C’est l’effet qu’il a voulu obtenir dans Les Noces. À la fin de la première partie, Daphné, forcée de renoncer à son amour, proteste amèrement :


Réjouis-toi, Dieu triste, à qui plaît la souffrance !


Ce poème est une vraie machine de guerre contre la foi, biendissimulée du reste, car d’aucuns s’y sont laissé prendre, avec quelque candeur : Jules Tellier, Barrès, Rodenbach, etc.[3]. Les amis et les ennemis déclarés du catholicisme y ont vu plus clair. Le P. Poncel déclare que « ce poème exquis est une agression voilée[4] ». Par contre, George Sand, qui est « affranchie », remercie France de lui avoir envoyé son drame, son merveilleux drame : « c’est beau et frais comme l’antique, et me fait pleurer, une fois de plus, l’œuvre malsaine du christianisme… Vos vers frappent ce mensonge en plein cœur, et ils sont beaux parce qu’ils ont une grande portée ; faites-en encore, vengez la vie de cette doctrine de mort[5] ». Les Noces Corinthiennes, c’est l’envers de Polyeucte ; ou encore c’est le Celse de M. Louis Rougier : étudiant le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif, l’auteur de ce Celse, paru dans la collection des « Maîtres de la pensée antireligieuse », semble à un moment se contenter de résumer Les Noces Corinthiennes, mais d’une façon plus franche qu’Anatole France[6] ; celui-ci joue longtemps une sorte de jeu autour de la religion ; toute sa simili-piété tombe brusquement quand la situation capitale apparaît, à la seconde partie : Hippias, voyant le Christ se dresser entre Daphné et lui, le provoque. Jusque là industrieux à

  1. J. Lemaître, Revue Bleue du 12 septembre 1885, p. 324.
  2. Corday, Anatole France, p. 193.
  3. J. Tellier, Nos Poètes, p. 135-136 ; Rodenbach, Revue Bleue du 4 avril 1891, p. 423 ; Charly Clerc, Le Génie du Paganisme, p. 104-105.
  4. Les Études du 20 mai 1925, p. 395-396.
  5. Mme Pouquet, Le Salon de Mme de Caillavet, p. 61 ; cf. Édouard Rod, Revue de Paris, 15 décembre 1894, p. 737, 754.
  6. Celse (Delpeuch, 1926), p. 187.