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HISTOIRE DU PARNASSE

mativement : l’Église condamne les joies de la chair, et c’est ce qui irrite Anatole France. Mais qui nous dira l’opinion du public ? Que pensèrent surtout les spectateurs qui, au Théâtre Français, le 11 mars 1918, assistèrent à la représentation troublée par les Gothas ? L’auteur fait bonne contenance, et le public ordonne que la représentation continue[1]. C’est un signe de bravoure, mais non une marque d’intérêt : elle semble d’un autre âge, et d’un médiocre réconfort, « cette œuvre harmonieuse et violente, écrit M. Doumic, où M. Anatole France dit son fait au Dieu des chrétiens[2] ».

Reste donc le charme des vers, qui peut pâlir un instant au contact de la dure réalité, mais qui reparaît intact, après l’alerte. Les Noces Corinthiennes sont délicieusement écrites. France n’a eu que de minuscules corrections à faire au premier texte avant de le publier dans ses Poésies. Une seule est assez intéressante : au Parnasse il écrit : Karon, et Caron dans ses œuvres. C’est une façon de nous prévenir qu’il a renoncé à Leconte de Lisle, à ses pompes, et à son hellénisme. Pour tout le reste, son vers demeure inaltérable, intangible. Qui change un mot détruit une beauté : Sarcey, le citant de mémoire, commet une variante qui est fâcheuse :


Je n’ai point fait de mal à ce jeune immortel.


C’est un jeton de plomb, à côté de la vraie médaille :


Je n’ai jamais fait tort à ce jeune immortel[3].


On peut différer d’avis sur la thèse soutenue dans ce poème, mais non sur la beauté de la forme[4]. En ce sens, M. Ernest-Charles a eu le droit de dire que le théâtre parnassien eut ainsi son chefd’œuvre ; mais il ajoute que le prosateur, en grandissant, a rejeté dans l’ombre le poète[5]. C’est, au contraire, le succès de ses œuvres en prose qui donne l’idée de porter au théâtre son poème dramatique : Les Noces, sans cela, n’auraient jamais pu rivaliser avec Le Passant. France devient le plus grand de nos écrivains en prose à la fin du xixe siècle, grâce à ses vers et à l’art parnassien, grâce aussi à Mme de Caillavet qui le devine et le dirige ; cette influence

  1. Corday, Anatole France, p. 151 ; Le Goff, A. France à la Béchellerie, p. 169.
  2. R. D. D.-M., Ier avril 1918, p. 696-699.
  3. Maurice Kahn, Figaro du 20 juin 1925.
  4. Bourget, Quelques Témoignages, p. 168 ; Clair-Tisseur, Modestes Observations, p. 110 ; P. Quint, Revue de France, Ier décembre 1925, p. 553 ; H. Bremond, Poésie Pure. p. 105 sqq. ; Mme A. Daudet, Journal de Famille et de Guerre, p. 179.
  5. Théâtre des Poètes, p. 160-161.