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LE DISPERSION

par instants se révèle le futur Verlaine, alcoolique, violent, et, disons le vrai mot, ignoble, comme dans la fin d’Une Grande Dame, ou dans La Mort de Philippe II, dont la beauté est gâtée par des grossièretés écœurantes :


Et son haleine pue épouvantablement…
Avides, empressés, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve (?)
En bataillons serrés vont et viennent les poux, etc.


Sainte-Beuve, moins complaisant que Leconte de Lisle, fait des réserves[1]. Au Parnasse on est plus sévère encore. Seul Mallarmé approuve[2]. Glatigny est dur ; Anatole France est narquois ; Mendès a en sainte horreur ce poète « sinistre[3] ». Verlaine a beau, tout comme un autre, lancer sa pierre à V. Hugo, c’est un lyrique, et par conséquent un demi-romantique : grâce aux Poèmes Saturniens, comme dit si joliment M. Henri Clouard, « une âme inquiète et frissonnante, l’âme la plus raffinée du romantisme sentimental, rentre dans la poésie[4] ». Les Parnassiens le constatent sans aucun plaisir. De plus, ils flairent en Verlaine un dissident : ils remarquent dans cet art étrange un élément inconnu et trouble, le germe d’une poésie nouvelle, non pas du symbolisme, (nul n’est moins symboliste que Verlaine) mais de cette école qu’on a si mal dénommée décadente[5]. Ils sont tout à fait fixés dans leur méfiance, trois ans après, quand Les Fêtes Galantes apparaissent, le 20 février 1869[6].

C’est encore une mince plaquette, tirée à 350 exemplaires, aux frais de l’auteur : Lemerre n’a pas confiance ; et pourtant c’est un succès qui vaut même de nouveaux lecteurs aux Poèmes Saturniens[7]. Sur les causes de cette réussite, quelques-uns se sont trompés, et ont cru pouvoir le porter à l’actif du Parnasse[8]. C’est, au contraire, un progrès sur les Poèmes Saturniens, un second pas de Verlaine vers sa nouvelle manière[9].

  1. Verlaine, Œuvres, N, 130 ; Sainte-Beuve, Correspondance, II, 111-112.
  2. Montel, ibid., p. 318.
  3. Glatigny, article dans Le Moniteur du Puy-de-Dôme, publié par J. Patin, Figaro du 26 mai 1928 ; A. France, La Vie littéraire, III, 312 ; Mendès, La Légende, p. 287.
  4. La Poésie française moderne, p. 76.
  5. Huret, Enquête, p. 67-68, 70-71 ; Verlaine, Œuvres, V, 378, 382.
  6. Lepelletier, Verlaine, p. 163.
  7. Montel, ibid., p. 324 ; Verlaine, V, 301.
  8. Armand Silvestre, dans l’Enquête de Huret, p. 324 ; Mithouard, Le Tourment de l’Unité, p. 207.
  9. Tailhade, Quelques Fantômes, p. 51.