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HISTOIRE DU PARNASSE

Il a été séduit, comme tout le monde de l’art, par l’ouverture au Louvre de la Galerie Lacaze : avec Lancret, Fragonard, Greuze, Watteau et Boucher, un monde féerique vient de se révéler à ceux qui déjà, grâce aux études des Goncourt, tournaient vers le xviiie siècle, et sa sensualité intellectuelle, des regards d’admiration[1]. Verlaine goûte ce charme d’une fine dépravation, parce que Les Contemplations en ont été pour lui une première révélation : La Fête chez Thérèse s’est imposée à sa mémoire pourtant rebelle : c’est la seule pièce d’autrui qu’il puisse réciter par cœur[2]. Les Fêtes Galantes essayent de rappeler le chef-d’œuvre de V. Hugo qui est comme la pièce liminaire du livre de Verlaine, et qui l’écrase. À côté de la délicieuse aquarelle peinte par Hugo dans le charme d’une soirée d’été, les croquis de Verlaine semblent des chromos[3]. Le détail n’en est pas assez surveillé ; il y a des distractions surprenantes : une statue représentant l’Amour est renversée :


Le vent de l’autre nuit l’a jeté bas ! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, épars. C’est triste[4]


et, surtout, c’est faux. Pour remuer des morceaux de pierre, il y faudrait non pas un souffle, mais un cyclone. Seule l’indulgence bénisseuse de Théodore de Banville peut parler de travail exquis, d’ironies suprêmes, de mélancoliques élégances[5]. Certes, L’Allée est bien jolie ; il y a encore une lettre qui rappelle, d’un peu loin, la grâce nonchalante de Musset. Mais le reste ! Colombine ne nous introduit pas dans une fête mondaine, mais dans un bal masqué de mardi-gras, tout au plus dans une folle partie chez Nina de Villard. Comme le Mercure de Molière qui s’en retourne au ciel se débarbouiller de la vulgarité humaine avec de l’ambroisie, on éprouve le besoin, après avoir terminé Les Fêtes Galantes, de relire la Fête chez Thérèse.

Verlaine a des progrès à faire, et il les fait. Des Fêtes Galantes à son envoi au deuxième Parnasse il y a une ascension vigoureuse. Il a pris conscience de sa vraie nature : ce n’est pas la mièvrerie ni la délicatesse qui lui conviennent, mais la force rude. Avant

  1. Lepelletier, Verlaine, p. 151-152.
  2. Id., ibid., p. 162.
  3. Clouard, La Poésie, p. 77.
  4. Œuvres, I, 111.
  5. Critiques, p. 312.