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HISTOIRE DU PARNASSE

On avait passé bien des choses à Verlaine ; on ne lui pardonne pas Rimbaud. Verlaine s’obstine à amener son ami au dîner des Vilains Bonshommes ; le jeune prodige se tient si mal que Carjat le prie vivement de rester tranquille : l’autre saisit la canne à épée de Verlaine, dégaine, se jette sur Carjat, et le blesse à la main : on expulse le génial voyou, puis on décide que Verlaine sera toujours le bienvenu quand il arrivera sans son compagnon : obligé de choisir entre ses frères d’armes et Rimbaud, Verlaine opte pour son ami.

Leconte de Lisle aurait peut-être pardonné quelques-unes de ces « affaires », mais Verlaine avait de plus commis le péché contre l’Esprit : il était devenu décadent ! M. Welschinger a entendu le Maître dire de son ancien disciple : « On en a fusillé qui ne l’ont pas autant mérité que cet animal-là[1] ! » Quelle punition a-t-il infligée à Verlaine ? Nous ne savons. L’expulsé du Parnasse se contente d’écrire à un ami, le 23 octobre 1887 : « Leconte de Lisle a été assez cochon avec moi…, après des relations des plus amicales[2] ». Désormais, quand ils se rencontrent au Quartier Latin, le Maître se détourne avec un mépris froid, tandis que le disciple congédié ricane, et, armé de son mauvais cigare, jette des bouffées de fumée malodorante sur le passage de l’olympien ; il l’insulte, il le traite de jésuite dans ses lettres intimes[3]. Dans ses Hôpitaux il divulgue sa rancune féroce : à sa chambrée, il a un envieux qui cherche à empoisonner sa vie : « il est laid, de face anguleuse, et roux de la plus déplorable nuance, la dent pourrie, et l’œil atrocement bleu chassieux, avec la barbe en balai de pot de chambre qui serait moisi ». Ce monstre est jaloux du poète, et Verlaine conclut : « la morale de tout cela, c’est que l’envie va se nicher partout,…et qu’il est consolant pour l’humanité pensante que tel ouvreur de portières, que le beau premier marchand de contremarques, e tutti quanti, ne le cèdent en rien, comme fiel et vinaigre, à Monsieur Leconte de Lisle[4] ». Sa rage contre son ennemi s’étend à son œuvre, au Parnasse et à son art. Il veut élever école contre école. De là cet Art Poétique, publié dans Jadis et Naguère : il n’a pas été très bien compris tout d’abord : l’un veut y voir une collection de bou-

  1. Débats du 16 août 1910.
  2. Figaro, supplément littéraire du 7 mai 1922.
  3. Mauclair, Servitude, p. 23 ; Lepelletier, p. 285.
  4. Œuvres, IV, 371-376.