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HISTOIRE DU PARNASSE

bafouer leurs rimes, préférer à la poésie la musique qu’ils considèrent comme inférieure au vers, casser toutes les règles, substituer à la discipline l’anarchie, voilà le 93 de Verlaine : — et tout le reste est littérature… parnassienne[1]. Dix ans après, son attitude est encore la même ; il défie toujours le Parnasse, à tous propos : dans une préface aux Éphémères du vicomte de Colleville, il continue à railler les exigences de ces « partisans, au fonds et au tréfonds de mauvaise foi, d’une impossible impeccabilité ;…oiseuses et odieuses considérations de menuiserie en mots[2] » ! A-t-il réussi à substituer sa réforme à l’orthodoxie parnassienne aussi complètement que le prétend Verhaeren[3] ? Cela sort de mon sujet et rentre dans l’histoire des Décadents. Ce qui nous intéresse au contraire, c’est de savoir ce que le parnassien schismatique avait emporté avec lui de fidélité inconsciente aux dogmes du Parnasse. Moréas estime que, au fond du cœur, Verlaine était resté parnassien, dissident sans doute, mais parnassien quand même[4]. Est-ce un jaloux, qui écarte ainsi un concurrent, comme jadis Leconte de Lisle faisait pour Hugo, Hugo pour Racine, etc. ? Charles Morice, qui est désintéressé dans la question, pense également que Verlaine avait gardé le cùlte du vers forgé au Parnasse[5]. Morice a parfaitement raison ; l’auteur du nouvel Art Poétique, qui préconise le vocabulaire hésitant, la musique incertaine, et, pour tout dire, l’art inconscient, se garde bien d’appliquer son système. Même dans le livret d’une opérette entreprise avec Sivry, il cisèle ses vers avec un scrupule minutieux : quand il écrit


Mais, encore un coup, Dieu bon, illumine-les.


ce n’est pas une ligne de prose marchant sur douze pieds au petit bonheur : c’est de la « littérature » tout à fait consciente, car il met en note : « ce vers très boiteux exprime la chute dans l’orgueil, comme le pied qui s’enfoncerait dans un trou pas vu[6] ». Il a donc emporté de l’atelier parnassien, où il a été apprenti, le tour de main, les secrets de fabrication, dont il affecte de se gausser devant

  1. Cf. Montel, ibid., p. 406 ; Clouard, La Poésie, p. 83 ; Laurent Tailhade, Quelques Fantômes, p. 28 ; Poizat, Le Symbolisme, p. 112-113 ; Mauclair, Servitude, p. 213-214.
  2. Publié par M. Monda, Figaro du 11 juillet 1925.
  3. Verhaeren, Impressions, p. 75.
  4. Huret, Enquête, p. 80. — Cf. Maurras et de la Tailhède, p. 152.
  5. Pages Choisies (Messein, 1912), p. 17.
  6. E. Delahaye, Verlaine, p. 404-405.