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LE DISPERSION

ville. Peut-être est-il déjà sensible aux traces de symbolisme que l’on peut découvrir chez l’auteur des Améthystes[1]. Aussi, lui qui n’a versé qu’un pleur en étudiant Gautier, il sent « de grandes larmes de tendresse » remplir ses yeux quand il lit « le Poète, l’invincible, classique Poète, soumis à la déesse et vivant parmi le charme oublié des héros et des roses… Institue, ô mon songe, la cérémonie d’un triomphe à évoquer aux heures de splendeur et de féerie, et l’appelle la Fête du Poète ; l’élu est cet homme au nom prédestiné, harmonieux comme un poème… Dans l’empyrée, il siège sur un trône d’ivoire, ceint de la pourpre que lui a le droit de porter… La grande lyre s’extasie dans ses mains augustes[2] ». Sacrer ainsi Banville prince des poètes n’est pas très prudent, quand on pénètre au Parnasse où, maintenant, Leconte de Lisle éclipse décidément son rival[3]. Mallarmé se sent hors de son monde dans ce milieu d’experts luthiers[4]. Il a beau aimer beaucoup Coppée, être sensible à l’envoi du Reliquaire, il ne lui fait pas de concession de doctrine ; il lui écrit, avec un certain courage, le 5 décembre 1866 : « Ce à quoi nous devons viser surtout est que, dans le poème, les mots se reflètent les uns sur les autres, jusqu’à paraître ne plus avoir leur couleur propre, mais n’être que les transitions d’une gamme. Sans qu’il y ait d’espace entre eux, et quoiqu’ils se touchent à merveille, je crois que quelquefois vos mots vivent un peu trop de leur propre vie, comme les pierreries d’une mosaïque de joyaux[5] ». Il n’a guère avec le Parnasse que des rapports de sympathie personnelle avec quelques Parnassiens, mais il se cramponne à eux quand il est obligé, pour gagner sa vie, d’aller enseigner en province. Alors il est trop heureux de revoir le famélique Glatigny en tournée[6] ; celui-ci rentré à Paris, en décembre 1872, lui donne des nouvelles des camarades :


Donc on va bien chez Lemerre !
Dans le passage Choiseul,
On est, nonobstant frimaire
Gai comme au pied d’un tilleul.

  1. Armand Silvestre, Portraits, p. 79 ; Banville, Critiques, préface de Barracand p. xxiii ; Fontainas, Revue de France, 15 septembre 1927, p. 334.
  2. Divagations, p. 118-119 et 226 ; cf. Montel, ibid., p. 38.
  3. Charpentier, Théodore de Banville, p. 107.
  4. Divagations, p. 71.
  5. Monval, R. D. D.-M., Ier octobre 1923, p. 661.
  6. Id., ibid., p. 664.