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HISTOIRE DU PARNASSE

Et les poètes candides
Bravant les futurs trépas
Rêvent des succès splendides
Qui luiront, n’en doutons pas.
Oui, ces temps promis sont proches.
Nous verrons l’âge rêvé.
Où l’or crevant nos sacoches.
Bondira sur le pavé,
Couverts d’habits magnifiques
Nous marcherons indulgents
Sur la pourpre, pacifiques
Envers les méchantes gens[1] !


De son côté, Mallarmé écrit des lettres exquises, parce qu’elles sont encore claires, aux amis qui ne l’oublient pas, et qui lui envoient leurs vers, Mérat, Verlaine, Coppée[2]. Dans une de ces lettres à Coppée il avoue qu’il est devenu, à distance, un véritable parnassien : d’Avignon, il lui écrit, le 20 avril 1868 : « assurez nos Maîtres de mon culte éternel[3] ».

Les Maîtres sont-ils contents de son envoi au Parnasse de 1866 ? Baudelaire peut-être : il trouve une imitation flagrante de sa manière dans le sonnet À celle qui est tranquille. Mais Leconte de Lisle doit froncer le sourcil en lisant Les Fenêtres. On y voit évoluer le talent de Mallarmé. Il est encore soutenu par l’observation puissante de la réalité, mais on sent déjà dans son art un effort pour mettre dans les mots plus de choses que leur contenu propre : il tâche à leur infliger un sens mystique. Etonné par les singularités de cette manière, on est tenté d’ausculter le poète : on diagnostique d’abord chez lui un affaiblissement de la syntaxe française par un afflux de syntaxe anglaise. On dirait aussi que, contre son talent spontané, lutte une idée fixe, originale certes, mais bien dangereuse. Ainsi, dans Les Fleurs, hymne de reconnaissance à Dieu qui les créa, il y a une stance superbe, symphonie en blanc mineur, digne du pinceau d’un peintre norvégien :


Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui, roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure,
À travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure.


  1. La République des Lettres du Ier octobre 1876.
  2. Remy de Gourmont, Promenades, II, 47-48 ; Montel, Bulletin du Bibliophile, 1924, p. 318 ; Monval, R. D. D.-M., Ier octobre 1923, p. 664, 660.
  3. Id., ibid., p. 663.