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LE DISPERSION

Eugène Manuel. Trois sonnets insignifiants, et un poème, Le Lierre. C’est comme un souvenir de la ronce dans Tristan et Iseult, mais à la Nme puissance, car la ronce de Tristan franchit simplement le toit d’une chapelle, tandis que le lierre amoureux de Manuel traverse bois, plaines, villes, fleuves, coteaux, ravins, montagnes, pour venir enfin fleurir sur le tombeau de la bien-aimée[1].

Puis recommence le défilé des pâles ombres, Gabriel Marc, Paul Marrot, Achille Millien ; Paul de Musset qu’on s’étonne de voir fraterniser avec les ennemis de son frère ; Myrten, Amédée Pigeon qui grandira plus tard[2] ; Claudius Popelin, qui a l’oreille du Comité, et l’amitié d’Heredia, heureusement pour lui, car son seul talent ne lui vaudrait pas l’entrée au Parnasse[3] ; Louis Ratisbonne qui doit figurer là surtout comme exécuteur testamentaire d’Alfred de Vigny : « c’est, dit Théo, peut-être ironiquement, le plus bel éloge qu’on puisse faire de son caractère et de son talent[4] ». Que dire encore d’Armand Renaud, sinon qu’il était très apprécié par Coppée[5] ? Que vient faire là H. Richardot ? Arrêtons au passage Gustave Ringal, qui dédie à une inconnue un sonnet précieux, et « licencieux » ; il ne lui souhaite pas l’apothéose de la statue en marbre,


Car le marbre est trop dur pour vos félines poses,
Enchantement sans fin de l’esprit et des yeux,
Et le ciel a pétri vos traits délicieux
Avec la chair des lys mêlée au sang des roses.

Pure comme la neige au sommet du glacier,
Fière comme autrefois les guerrières de Thrace,
Vos pas ne savent point du mal la sombre trace,

Et dans vos yeux charmeurs tout alanguis de grâce
On voit au plus profond luire un reflet d’acier
Où la douceur s’allie à l’orgueil de la race.


Défilé mélancolique ! Ces inconnus ont parfois du talent ! Le Parnasse n’a pas suffi à les mettre en lumière ; on souhaiterait que quelques chercheurs, avec la patience des vieux orpailleurs, essayassent de découvrir dans toute cette poussière les quelques

  1. Bedier, Tristan et Iseult, p. 288.
  2. Jules Tellier, Nos Poètes, p. 149-150.
  3. Le Manuscrit autographe, p. 43, 46 ; Coppée, Dans la Prière et dans la Lutte, p. 105 ; Heredia, Trophées, p. 105.
  4. Rapport, p. 368.
  5. Lescure, François Coppée, p. 43-45.