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XXXIX
INTRODUCTION

simple boutade, dit un auditeur, Xavier de Ricard, « et il ne nous scandalisait pas tous[1] ». Autour de Leconte de Lisle, en effet, se groupent les Parnassiens de la stricte observance qui protestent contre les outrances de Hugo, et qui cherchent l’ordre dans la beauté ; l’un d’eux l’a proclamé à l’Académie, quinze ans après la mort du Maître : « l’idéal des poètes du Parnasse, dit Jean Aicard, c’était, au fond, la sobre, rigoureuse et indestructible ordonnance des constructions d’un Leconte de Lisle, opposée à l’œuvre ondoyante, tumultueuse, forêt ou océan, d’un Victor Hugo[2] ». Leur idéal, c’est encore la méthode critique de leur maître : ils essayent de rivaliser avec sa sévérité, qui parfois semble tourner à la férocité ; c’est une meute lancée, et le grand veneur ne la retient pas. Aucune gloire du passé littéraire n’est respectée. Un des plus indulgents, Theuriet, remarque, à la reprise d’Hernani, que le grand Dumas, au milieu du délire de la salle, verse des larmes d’attendrissement ; sans s’attarder à remarquer que cette émotion, chez un rival, est noble, il ricane : « le père Dumas, dans une loge de second rang, pleurait comme un jeune veau[3] ». C’est un vieux, soit. Mais le poète des jeunes, le contemporain de Théophile Gautier et de Leconte de Lisle, Musset, est épluché avec une sorte d’acharnement ; c’est à lui surtout qu’ils en veulent, « à ce Brummel du style, dit encore Jean Aicard, délicieux dandy qui ne comprenait pas que l’élégance vraie pût aller sans quelque dédaigneuse et jolie négligence, et qui avait pris avec la Muse, traitée en grisette, d’impertinentes libertés ». Il faut citer tout au long la page que lui consacre Calmettes, pour voir quel était, au Parnasse, ce travail de dissection dont Leconte de Lisle avait donné le modèle, et que chacun reprenait de son mieux : « Le vers de Musset (combien on pourrait en citer de ce poète !)


Or le lit sur lequel Hassan était couché,


ne vaut pas la peine d’être écrit en vers, puisque sa réduction au moule poétique n’ajoute rien à la pensée, et l’exprime telle que l’exprimerait la simple prose. C’est un membre de phrase qui dénote le laisser-aller d’un négligent auteur, et qui, pour les Parnassiens,

  1. Revue (des Revues), février 1902, p. 305.
  2. Discours de réception à l’Académie, 23 décembre 1909 ; cf. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 163.
  3. Souvenirs, p. 251.