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HISTOIRE DU PARNASSE

Avec ses disciples Heredia est libéral, tolérant, et préfère la confiance au respect prosterné ; mais il sait remettre les gens à leur place quand il le faut : Montesquiou lui lit quelques Hortensias Bleus, ne lui fait pas hommage du livre, et sollicite tout de même une préface. Heredia répond, avec une dignité froide : « quant à mon sentiment sur votre livre, il ne m’est pas possible de vous le donner sans l’avoir lu… Ceci (et me connaissant tel que je suis, vous ne sauriez vous y méprendre) n’est pas pour vous engager à m’envoyer votre beau livre ; je ne vous l’ai pas demandé, et, du moment qu’il ne vous a pas plu de me l’offrir des premiers, je trouve tout naturel que vous ne l’ayez pas fait, et que vous ne le fassiez point[1] ».

Ces exécutions sont rarissimes, car Heredia est aimé. Il est bien entouré. Dans son groupe on reconnaît des habitués du salon de Leconte de Lisle, comme le vicomte de Gueme ; puis, on distingue des nouveaux, Charles Guérin, Sébastien-Charles Leconte, Gauthier-Ferrières, Poizat, Gaston Volland, Pierre Ladoué, Léo Larguier, Philippe Dufour, Mestrallet, Paul Musurus, parfois Louis Tiercelin, etc.[2]. Tous ne sont pas parvenus à la notoriété. Mais cela ne diminue pas la valeur du maître qui pouvait compter parmi ses élèves les plus dociles un Swinburne[3].

Son enseignement est beaucoup plus large qu’on ne pourrait le supposer chez un artiste épris pour son propre compte de la perfection la plus minutieuse. Il admet la manière de Verlaine, si éloignée de la sienne, aux antipodes. Il signe la lettre de remercîments qu’il lui envoie pour un article aimable : « votre vieil admirateur[4] ». Il étudie, avec un mélange d’attraction et d’antipathie, Francis Jammes, quoiqu’il vaille surtout par la sensibilité : « il est certain dit-il devant Charles Guérin qui s’empresse de le redire à l’intéressé, il est certain que cet animal-là est poète. Mais moi, le sentiment, je m’en… moque[5] ». Sauf Baudelaire, il est apte à tout comprendre, et il met une conscience rare à écouter les vers qu’on lui soumet : après une audition des Hortensias Bleus il écrit à R. de Montesquiou : « je vous ai dit l’impression très vive que je gardais

  1. Figaro du 5 janvier 1929.
  2. H. de Régnier, Revue de France, 15 mars 1923, p. 388 ; J. Renouard, Figaro du 17 octobre 1925 ; Le Parnasse Breton Contemporain, p. 287.
  3. H. de Régnier, Revue de France du Ier juillet 1926, p. 162-163.
  4. Figaro du 17 octobre 1925.
  5. F. Jammes, Mémoires, III, 12-13.