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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

Tel est le charmeur qui reprend les samedis de Leconte de Lisle » avec une moindre maîtrise, c’est entendu, mais avec infiniment plus de bonne grâce, et une philosophie souriante, réconfortante[1]. Les duretés du sort qui attristent parfois la fin des vies prospères, ne purent altérer son euphorie philosophique[2]. C’était un générateur d’énergie : « il exerçait, dit celui qui l’a le mieux connu, une sorte de’fascination. Elle résidait dans sa personne même. On aimait en lui un homme généreux, serviable et bon. Il dégageait une influence de joie, de sécurité, d’énergie. Son assurance en face de la vie et de l’art était un spectacle réconfortant. Sa certitude encourageait. Son optimisme était bienfaisant[3] ». À qui craindrait que ce portrait ne fût flatté, je recommanderais le passage où Paul Valéry loue le zèle avec lequel Heredia enseignait aux jeunes les secrets du métier : générosité qu’on n’a plus revue depuis, faute d’un maître, et faute de jeunes admettant qu’ils aient quelque chose à apprendre[4].

Ce n’est pas que les néo-parnassiens eux-mêmes’aient conservé la discipline de leurs prédécesseurs. On ne tremble pas devant Heredia comme devant Leconte de Lisle. On se dispute devant lui, sans égard pour sa présence. Une fois il ne peut calmer une discussion violente qu’en saisissant une Légende des Siècles, et en déclamant Booz endormi d’une voix formidable qui couvre le bruit de la querelle[5]. Ses disciples ne le considèrent pas comme un docteur infaillible ; il a, en effet, un faible : il n’a jamais pu pardonner à Baudelaire son premier accueil : « comme je lui disais mon admiration respectueuse, il me dévisagea d’un air froid…, et, m’interrompant brusquement, il me dit : — Monsieur, je n’aime pas les jeunes gens. — Puis il se tut, m’ayant tourné le dos[6] ». Heredia prend sa revanche plus tard en démolissant obstinément l’auteur des Fleurs du Mal. Un jour qu’il s’efforçait une fois de plus de convaincre ses auditeurs que sa bête noire n’était pas un vrai poète, l’un d’eux termina la discussion en souriant : — Et si nous lisions maintenant du Baudelaire[7] ?

  1. Albalat, Revue hebdomadaire du 4 octobre 1919, p. 34-70.
  2. Mme Demont-Breton, II, iii.
  3. H. de Régnier, Revue de France, 15 février 1926, p. 806.
  4. Revue de France, 15 septembre 1925, p. 212.
  5. Barrès à l’Académie, Officiel du 19 janvier 1917, p. 432.
  6. Le Tombeau de Louis Ménard, p. 23.
  7. Poizat, Le Symbolisme, p. 60.