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HISTOIRE DU PARNASSE

Mais je vous aime et vous admire,
Et le boudhiste souriant
En ces vers vous offre la myrrhe
Et l’encens pur de l’Orient[1].


N’est-ce pas là le jugement de la postérité qui commence à le mettre à son rang[2] ? Au château de la Bourdonnais, où il mourut le 2 octobre 1905, des mains pieuses avaient placé près de lui, dans son cércueil, le livre si mince et si grand[3]. Ses obsèques répondent à sa vie ; aussi sont-elles moins froides que celles de Leconte de Lisle. C’est un concert de regrets vrais. On ramène d’abord le corps à l’Arsenal, et là, au nom de la Société des Gens de lettres, M. Marcel Prévost parle avec une reconnaissance vibrante, magnifiant le cœur de Heredia autant que son talent : « Non, mon bon maître, tant de gloire qui vous survit ne suffit pas à éclipser tant de bonté morte avec vous[4] ». « C’était un cœur d’or, dit M. Hanotaux, une âme exquise, une vraie nature de poète telle qu’on se les figure d’après la légende… Il passa dans le monde en n’y voyant rien que la beauté[5] ». Enfin, on le transporte près de Rouen, au cimetière de Bon-Secours, où sa mère était enterrée. Et maintenant, répétons la parole de Barrès : « il dort auprès de celle qui l’avait préparé pour nous aimer… Le fils des conquistadors repose sous le ciel où le vent dispersa les cendres de Jeanne d’Arc. Sa tombe accroît encore la spiritualité de ce Rouen où l’auteur duCid enseigna l’art des vers à Jacqueline Pascal[6] ». À côté du tombeau pousse un laurier que le vent de la Seine fait trembler ; sur la pierre est gravé ce vers :


Mon âme vagabonde à travers le feuillage
Frémira…


Il aimait, d’un amour de prédilection, ce vers d’André Chénier ; il le citait, comme exemple de beauté : « les muettes particulières à notre langue l’allongent, le rendent plus respirable. Elles y mêlent à l’éclatante netteté latine une douceur fluide, une sorte de perspective, d’atmosphère vaporeuse[7] ».

  1. Ibrovac, p. 186.
  2. Jean Royère, Le Manuscrit Autographe, janvier-février 1929, p. 56-57 ; Le Figaro du 9 mars 1929.
  3. Ibrovac, p. 568 ; H. de Régnier, Figaro du 17 octobre 1925.
  4. Ibrovac, p. 200.
  5. Bulletin du Bibliophile, 1905, p. 455.
  6. Journal Officiel du 19 janvier 1907, p. 433.
  7. André Chénier, Les Bucoliques, édition Heredia, p. xxix et 59.