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XLI
INTRODUCTION

entre Parnassiens, qu’un jour, à table, V. Hugo a dit à l’un de ses invités : « vous voyez cette cire noire ; depuis la mort de ma mère, mes bouteilles sont ainsi cachetées de deuil ». Les indulgents penseraient que c’est une façon originale de porter le deuil perpétuel ; Calmettes estime que c’est une « lourde niaiserie » ; il préfère le vers connu, qu’il admire :


Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie,


et, rapprochant le vers de l’anecdote, il conclut, avec une sévérité parnassienne : « toute l’humaine pitié n’est-elle pas contenue dans ce vers si grand, si noble d’élan filial ? Chez V. Hugo tout sortait, l’âme et l’excrément[1] ».

Ils raillent jusqu’aux amabilités du poète, aux lettres de noblesse littéraire qu’il décerne aux plus simples débutants. Même le plus hugolâtre d’entre eux, Coppée, raconte, avec un sourire narquois, qu’il eut lui, aussi « le bonheur de décacheter, avec l’émotion du néophyte, la lettre traditionnelle, alors timbrée de Guernesey, qui lui apportait son baptême poétique[2] ». Ses camarades, moins hugophiles, vont jusqu’au rire amer, à la caricature : ils composent la parodie de ces compliments protocolaires : « Confrère, car vous êtes mon confrère, dans ce mot il y a frère. Mon couchant salue votre aurore. Vous commencez à gravir le Golgotha de l’idée, moi je descends. Je suis votre ascension. Mon déclin sourit à votre montée. Continuez. L’Art est infini. Vous êtes un rayon de ce grand tout obscur. Je serre vos deux mains de poète. Ex imo. V. H.[3] ». La première ligne de cet « à la manière de… » est bien de Hugo. Jean Aicard contait qu’il avait assisté à un banquet présidé par le Maître. À l’heure des toasts, Hugo commença ainsi : « Mes chers confrères, et dans ce mot il y a frères ». Tout le chœur des poètes répondit en sourdine par une plaisanterie rabelaisienne[4].

L’exemple de Leconte de Lisle avait porté ses fruits. Mais il n’était pas seul à attaquer l’école romantique et son chef ; Anatole France le secondait. Il disait une fois, et le propos est garanti : « le romantisme ? C’est la liquéfaction de l’esprit français[5] ». Un

  1. Calmettes, Leconte de Lisle, p. 181, 182.
  2. Souvenirs d’un Parisien, p. 149.
  3. Lepelletier, Verlaine, p. 142.
  4. Cf. Bergerat, Souvenirs, II, 238, 239.
  5. Roujon, La vie et les opinions d’A. France, p. 230 ; cf. sa conférence à Sao-Paulo en juillet 1909, Revue de Paris, Ier novembre 1928, p. 9-11.