Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XLII
HISTOIRE DU PARNASSE

jour que J.-M. de Heredia lui demandait de signer un manifeste où Hugo était appelé le plus grand des poètes : — Non, répondit-il, pas le plus grand. Un grand poète, certes, mais pas le plus grand. — Heredia insista, l’autre s’obstina ; on échangea des propos aigres, mais France ne signa pas[1].

Ainsi, il y avait au Parnasse deux camps : les plus nombreux attaquaient les grands romantiques, la minorité essayait de les défendre. Les deux partis se réunissaient pour tomber sur les disciples attardés de l’École de 1830. Ricard, qui écrivait bien mal, mais qui voyait juste, considérait que le Parnasse était « une protestation contre les déclamations à panache et la queue hugotique, … contre la sentimentalité artificielle et niaise de la queue de Lamartine,… ou les impertinences débraillées de celle de Musset[2] ». C’est exactement ce que dit Verlaine, mais en bon français, quand il met la beauté attique de SullyrPrudhomme en contraste avec « l’excessive facilité de jeunes poètes lâchés, lamartiniens sans génie, hugolâtres sans talent, mussettistes qui n’avaient du maître que l’envers de sa paresse divine[3] ». Tous ces défauts, les Parnassiens les condensent dans une formule collective : l’éloquence de 1830 : « ils avaient, dit Jean Aicard, une volonté commune : réagir contre la composition romantique où le désordre et l’abondance étaient… considérés comme le signe du génie. Toutes ces choses furent, par les Parnassiens, condamnées pêle-mêle sous le nom d’éloquence prononcé avec mépris[4] ».

Cette condamnation est ratifiée même par les adversaires du Parnasse, par les Symbolistes : Remy de Gourmont estime que la réaction parnassienne contre l’École de Hugo a été utile ; qu’elle a eu raison de frapper le romantisme sentimental ; qu’elle nous a délivrés « des faux désespérés dans le genre de celui qui exhale dans La Nuit d’Octobre des plaintes si naïves » ; on a bien tort de reprendre encore à la Comédie Française « ce dialogue chimérique où plane l’ombre surannée de George Sand ; c’est une poésie de décadence, et plus, de décrépitude, qu’on ne peut plus entendre sans malaise. Rien n’est plus choquant que ces pleurs et ces confidences publiques.

  1. Id., ibid., p. 230-231.
  2. La Revue, Ier février 1902, p. 304.
  3. Verlaine, Œuvres complètes, V, 334.
  4. Discours de réception, 23 décembre 1909 ; cf. Brunetière, Évolution de la Poésie lyrique, II, 193.