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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

en constatant les alternatives d’ombre et de lumière qui passent sur l’œuvre de Leconte de Lisle.

On lui conteste maintenant sa royauté poétique. Que pense M. Maurras ? « l’auteur des Poèmes Barbares vivait, que je ne me cachais à personne de le tenir pour l’infime subalterne de Paul Verlaine », et, ce disant, il vient d’éreinter Verlaine[1]. Ce n’est plus « le scalpel de la critique », c’est la matraque ; et, du reste, Leconte de Lisle ne s’en porte pas plus mal… Certaines attaques sont plus redoutables, s’appuyant sur des convictions religieuses[2]. D’autres enfin, s’acharnent contre un art qui leur paraît sec, contre un homme dont le caractère impérieux leur déplaît, contre un talent qu’ils ne savent pas apprécier, par manque de sens littéraire[3]. Chaque critique isolée est faible ; leur masse est dangereuse ; et, en effet, Barrès qui pourtant met Leconte de Lisle à côté de Renan, de Byron, de Chateaubriand, et qui a suivi longtemps sa discipline, avoue, en 1898, devant le monument du Maître, qu’il a beau avoir créé une manière : « son gaufrier commence à s’user[4] ». Si, très souvent, Leconte de Lisle a une mauvaise presse, c’est qu’il est bien provocant ; il n’a pas pour les journalistes les ménagements calculés de V. Hugo : « la critique, dit-il, à peu d’exceptions près, se recrute communément parmi les intelligences desséchées, tombées avant l’heure[5] ». Mais qu’importent, à la longue, les efforts de la critique contre les œuvres vraiment fortes ? Après l’assaut de la tempête le rocher de granit reparaît intact, tandis que les falaises crayeuses s’effondrent. La grandeur définitive du rôle littéraire de Leconte de Lisle est consacrée par le discours de Brunetière recevant H. Houssaye à l’Académie, le 12 décembre 1895 : « il nous a rattachés à nos vraies origines. La chaîne, un moment brisée…, s’est renouée. Nous avons vu clair dans notre propre génie ». Si ce retour à la tradition doit avoir un jour autant d’importance que le romantisme et sa rupture avec les maîtres classiques, le principal mérite, ajoute Brunetière, en reviendra à Leconte de Lisle.

Les Poèmes résistent à une épreuve plus dure encore que les éro-

  1. Barbarie et Poésie, p. 167, 165-166. Même violence dans une lettre au Temps du 13 octobre 1898.
  2. P. Delaporte, Études Religieuses, décembre 1894.
  3. Schuré, Revue des Revues, mai 1910, p. 37 ; Clouard, La Poésie française moderne, p. 33.
  4. R. D. D,-M., 15 novembre 1905, p. 257 ; Fidus, ibid., 15 juillet 1921, p. 318-319 ; Barrès, Amori et Dolori Sacrum, p. 269.
  5. Derniers Poèmes, p. 235.