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HISTOIRE DU PARNASSE

expliquée : « le Parnasse, où personne n’a pensé bassement, doit être loué comme une école de travail minutieux et de respect. Des esprits nobles et libres s’y éveillèrent. Chez les plus modestes des poètes qui apprirent de Leconte de Lisle à travailler le vers…, un anthologue peut trouver le chef-d’œuvre qui sauve un nom et enrichit une littérature[1] ».

Cette grandeur est-elle glaciale, et comme figée ? Oui, et non ; oui, si on les compare à la fièvre romantique ; non, si on les juge en eux-mêmes. Il en est de ces artistes comme des personnes réservées que l’on rencontre dans la vie réelle ; elles paraissent bien froides, surtout si on les compare aux gens démonstratifs ; de ceux-ci, on se blase vite ; ils sont tout en gestes. Bien simple serait celui qui croirait qu’il y a quelque chose de sincère derrière leur gymnastique sentimentale. Au contraire, les gens d’apparence réfrigérante se révèlent tout à coup exquis, dans un grand et dur moment de la vie ; leur poignée de main devient chaude et prenante ; leur figure se détend en un sourire rapide ; on lit dans leurs yeux une sympathie vraie. Alors le courant s’établit, une fois qu’on a deviné, sous la froideur apparente, la chaleur secrète. De même pour les Parnassiens : ils ne se prodiguent pas, ils ne se racontent pas ; ils ont leur secret, qu’il faut découvrir. Je me rappelle avoir vu en Hollande, dans une église de Bréda, un merveilleux tombeau d’albâtre représentant un duc et sa duchesse ; malgré l’ingratitude de la matière, le sculpteur a si bien rendu les traits des deux gisants qu’on peut deviner sur leurs figures émaciées le mal dont ils sont morts. Le douloureux amenuisement des traits tirés, la blancheur sinistre de l’albâtre font presque reculer le visiteur devant ce triomphe de la mort. Mais le guide approche une lumière du pied nu de la jeune femme, et la chair reprend aussitôt le rose adorable de la vie. J’ai tâché, au cours de cette histoire du Parnasse, d’être le guide qui révèle une beauté, niée parce qu’elle est cachée.

Ainsi ceux qui demandent aux poètes autre chose qu’une distraction passagère, peuvent fréquenter avec confiance ces Parnassiens qu’on leur avait dits être distants. Dans cette réunion de talents si variés, chacun de nous trouvera son poète de prédilection, son livre de chevet. Les vrais amateurs d’art peuvent y goûter la plus riche variété instrumentale : l’orchestre est au grand complet.

  1. Amori et Dolori Sacrum, p. 269.