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LIII
INTRODUCTION

« à force de panthéisme et d’objectivité, le poète a fini par perdre ce don de l’émotion sympathique qui fait le fond même de la poésie. Dans cette voie on aboutit à la littérature glaciale[1] ». M. Léon Daudet dit la même chose au fond, mais avec sa verve coutumière : il compare ce travail poétique à celui d’un tailleur de marbre, puis il résume ainsi son antipathie : « ses ouvrages me font l’effet d’une grotte de glace où pendent des stalactites… Il a trouvé le moyen, l’éminent frappeur de carafes, de congeler l’Iliade et l’Odyssée », et pourtant « on m’avait appris à le vénérer ! » En effet, c’est bien de la vénération que Mme Alphonse Daudet éprouve pour la pensée de Leçon te de Lisle, et pour son expression pure, hautaine. À ceux qui parlent d’impassibilité, de froideur, elle répond que cet art supérieur se communique, et qu’il émeut. Que d’autres, en lisant Hugo, Musset, Lamartine, sentent leur cœur se gonfler, elle éprouve, elle, autant d’émotion, et davantage, en lisant L. de Lisle[2]. La critique commence à reconnaître que son œuvre peut se suffire à elle-même, vivre de sa vie propre, mais que, pour la bien comprendre, il faut retrouver sous l’impassibilité de l’artiste la sensibilité de l’homme, soùs l’impersonnalité de la forme tout un bouillonnement de passions intellectuelles, ardentes tout de même[3].

Renonçons donc à ce mot mal trouvé par un parnassien de troisième ordre ; les grands parnassiens l’ont laissé tomber, dédaigneusement, et leurs ennemis l’ont ramassé pour le leur lancer à la figure. Le sobriquet a plu aux ignorants ; l’histoire littéraire devrait le rejeter comme une erreur. Le Parnasse n’est pas froid, mais il ne livre son secret qu’aux initiés.

VI

Combien furent-ils, les poètes qui fréquentèrent cette école, et combien méritent de survivre ? Brunetière en compte cent trente-trois : cinquante-six auraient collaboré au Parnasse Contemporain de 1869 et soixante dix-sept autres figureraient dans l’Anthologie des poètes français du xixe siècle, éditée par Lemerre[4]. Ce chiffre

  1. Id., ibid., p. 260.
  2. Souvenirs autour d’un groupe, p. 198.
  3. Jean Ducros, Le Retour de la Poésie française, p. 8.
  4. Évolution de la Poésie lyrique, II, 190 ; cf. Ibrovac, Heredia, p. 505.