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HISTOIRE DU PARNASSE

précipiter sur la grande route du beau éternel[1] ». Pour préciser cette orientation nouvelle, il faut ajouter que, de très bonne heure, Théo avait étudié la littérature grecque, et que l’hellénisme est, selon l’expression de Baudelaire, « la véritable clef de sa chambre spirituelle[2] ». Son plus intime confident, Bergerat, nous dit, sans trop grande exagération, que « son âme, la plus antique qui fut jamais », aimait l’ancienne Grèce[3]. C’est cet amour qui lui avait fait accepter une proposition de Buloz ; alors Commissaire royal auprès du Théâtre Français, celui-ci lui avait demandé de traduire en vers L’Orestie ; le projet ne fut pas mené à sa fin, mais il y avait eu un commencement d’exécution : on retrouve dans ses œuvres complètes le monologue du début[4]. Son hellénisme procède de Chénier ; Gautier en parle avec une sorte de reconnaissance : « on peut dater d’André Chénier la poésie moderne… Un frais souffle venu de la Grèce traversa les imaginations ; l’on respira avec délices ces fleurs au parfum énivrant qui auraient trompé les abeilles de l’Hymette. Il y avait si longtemps que les Muses tenaient à leurs mains des bouquets artificiels…, où jamais ne tremblait ni une larme humaine, ni une perle de rosée ! Ce retour à l’antiquité, éternellement jeune, fit éclore un nouveau printemps[5] ». Chénier évidemment ne suffirait pas pour l’inféoder à l’hellénisme, mais Gautier ajoute la lecture des textes, dans le texte ; même malade, mourant, et ne lisant presque plus rien, il garde un livre de chevet sur lequel il promène ses yeux de myope, y prenant visiblement intérêt et plaisir, et c’est l’Iliade, en grec, qu’il relit, pour la trentième fois, aussi facilement que nous lisons un journal[6]. Cette intimité avec la Grèce l’éloigne irrésistiblement du romantisme. Aussi, Sainte-Beuve a-t-il raison de constater qu’après avoir fait partie du groupe Hugo, Gautier s’en est détaché, et qu’il est devenu à son tour « un chef de branche[7] ». Il reste personnellement fidèle à V. Hugo ; peut-il oublier que dans le Vert-Vert du 15 décembre 1835, Hugo a publié sur Mlle de Maupin un article aimable, un peu

  1. G. Lafenestre, Artistes et Amateurs, p. 135. — Cf. Jasinski, Les années romantiques de Th. Gautier, p. 169 sqq., p. 210, 212 ; l’Espana, p. 170, 270-277.
  2. Baudelaire, III, 159. C’est également un excellent latiniste ; cf. de Spœlberch, II, 302.
  3. Souvenirs d’un Enfant de Paris, I, 328.
  4. Poésies, II, 297-298 ; de Spœlberch, Lundis d’un Chercheur, p. 40-41.
  5. Rapport, p. 295.
  6. Maurice Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 324.
  7. Lundis, IV, 73.