Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
AVANT LE PARNASSE

vague du reste, et qui n’est même pas signé[1]. Mais il ne faut pas en demander trop à Hugo, et Gautier paye bien sa dette ; dans son Rapport, en 1864, il a le courage de magnifier les œuvres de l’exilé, les Contemplations, la Légende, les Chansons des rues et des bois ; rédacteur littéraire du Journal Officiel, il ne peut tout de même pas louer les Châtiments[2]. L’amitié de Gautier pousse le courage jusqu’à la témérité : apprenant que son article sur la reprise d’Hernani, le 20 juin 1867, est accroché au Moniteur et qu’on n’ose le publier sans l’autorisation du Ministre, Gautier va chez M. de la Valette, et lui donne le choix entre son feuilleton publié ne varietur, et sa démission[3]. Le Ministre a le bon goût d’accepter le feuilleton, et Gautier passe à la caisse pour toucher ses droits d’auteur : « si petite que fut la somme, dit M. Dreyfous, elle lui était indispensable pour soutenir les dépenses urgentes de la maison. Au moment où il avait offert sa démission, il ne s’était pas demandé comment il gagnerait sa vie le lendemain, si elle était acceptée[4] ». Inutile de multiplier les preuves de son dévoûment chevaleresque à V. Hugo[5]. Il en a été récompensé par l’admiration de Banville :


Éclatant de joie et de lustre
Il appartient, sous le ciel bleu,
À la même lignée illustre
Que Hugo son maître et son dieu[6].


De la même lignée ? Bravo. Son dieu ? Peut-être. Son maître ? Non[7]. Il est toujours l’admirateur de V. Hugo, mais il n’est plus fanatique. Il entrevoit des imperfections dans l’œuvre du Dieu, dans les Chansons particulièrement, mais, dit-il, à M. Dreyfous, « si j’avais le malheur de penser qu’un vers de Hugo ne fût pas bon, je n’oserais pas me l’avouer à moi-même, tout seul, dans la cave, sans chandelle[8] ». Il finit pourtant par le crier sur les toits : en février 1868, dans sa préface aux œuvres de Baudelaire, il pense « au saint Jean poétique qui rêve dans la Pathmos de Guernesey[9] ».

  1. Reproduit dans Spœlberch, Les Lundis d’un Chercheur, p. 186-190.
  2. Rapport, p. 388-398.
  3. Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 172 ; cf. Laurent Tailhade, Quelques fantômes de jadis, p. 270.
  4. Dreyfous, ibid., p. 173.
  5. Comte Primoli, R. D. D.-M., Ier novembre 1925, p. 79.
  6. Dans la fournaise, p. 217 ; cf. Dreyfous, ibid., p. 71-72.
  7. Cf. J. Marsan, La Bataille romantique, II, 221.
  8. Ce que je tiens à dire, p. 72.
  9. Baudelaire, Œuvres complètes, I, 22.