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HISTOIRE DU PARNASSE

apparence, au fond plein de mépris pour Mendès et pour la valeur de sa pensée[1].

Si l’on veut savoir sérieusement quelle valeur exacte Th. Gautier donne aux mots, ne prenons pas ces anecdotes où le narrateur modifie toujours un peu ce qu’il a entendu dire ; écoutons l’écrivain lui-même. Étudions la rhétorique qu’il a esquissée dans un article sur la divine épopée de Soumet : on croirait d’abord qu’il a été écrit par un austère philologue, intransigeant dans son respect de la langue : il condamne les néologismes du malheureux poète avec un superbe dédain : « M. Soumet ne paraît pas savoir qu’une langue s’appauvrit de tout ce qu’on lui ajoute, et que, s’il est permis de créer des mondes, il ne l’est pas de créer des mots ». Il corrige le texte de Soumet avec une sévérité de professeur de quatrième, relevant ses fautes de grammaire, lui rappelant qu’on n’a pas le droit « d’accoupler un verbe positif à un substantif métaphysique : on n’incruste pas une souffrance ». Puis, l’artiste reparaît, et parle au nom de la beauté qu’il connaît bien, au nom de la perfection littéraire : « nous croyons que l’on s’est mépris sur la véritable portée de l’art ; l’art, c’est la beauté, l’invention perpétuelle du détail, le choix des mots, le soin exquis de l’exécution ; le mot poète veut dire littéralement faiseur : tout ce qui n’est pas bien fait n’existe pas[2] ». Le « faiseur » ne mérite vraiment le nom de poète que s’il écrit en vers. Là encore Gautier a réfléchi à son art : il a sa poétique.

Son art du vers est, dans l’ensemble, celui des romantiques, celui de Hugo, celui aussi de Baudelaire, qu’il admire fort[3]. Mais il a sur la rime des idées personnelles : il voudrait qu’à ses débuts chaque apprenti-poète se fît un dictionnaire de rimes ; il ne faut pas en acheter un tout fait[4]. Et pourquoi ? Le mot à la rime est pour Théo le générateur du vers. Un dé ceux qui l’ont vu au travail croit remarquer qu’il va de la rime à l’idée[5]. Pourtant il est d’esprit plus large que Sainte-Beuve, il ne voit pas dans la rime l’unique harmonie du vers. Il attache au contraire, la plus grande impor-

  1. Comte Primoli, R. D. D.-M., 15 novembre 1925, p. 331.
  2. R. D. D.-M., Ier avril 1841, p. 110-126.
  3. Préface aux Œuvres complètes de Baudelaire, I, 42, 46.
  4. Bergerat, Th. Gautier, p. 122.
  5. Comte Primoli, R. D. D.-M., Ier novembre 1925, p. 83.