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HISTOIRE DU PARNASSE

marbre de Carrare, qui n’admet que des lignes pures et correctes, et longuement méditées. L’on a dit que la peinture était sœur de la poésie ; cela serait bien plus vrai de la sculpture ; en effet, le poète et le statuaire cachent dans une forme réduite d’immenses travaux d’idéalisation ; ni l’un ni l’autre ne peuvent se passer du dessin ; la couleur peut pallier les défauts du prosateur ou du peintre, mais, en poésie et en sculpture, il faut le style et la perfection de chaque chose. Toute statue qui, brisée en morceaux, n’est pas toujours admirable, ne vaut rien ; tout poème dont une dizaine de vers pris au hasard ne font pas dire de l’auteur qu’il est un grand poète, peut être considéré comme non avenu[1] ». Désormais, la poésie éveillera toujours dans son imagination l’idée de la statuaire. Dans son admirable article sur la mort de Rachel, il compare les brèves et splendides destinées des acteurs au sort des poètes : nous n’avons qu’un présent médiocre, mais nous avons l’avenir, « nous autres sculpteurs patients de ce dur paros qu’on appelle le vers[2] ». Plus tard encore, dans son Rapport, il revient sur son orgueilleuse et parnassienne comparaison : tout poète doit « sculpter la beauté dans cette forme dure et difficile à travailler du vers, qui est comme le marbre de la pensée[3] ».

Comment s’est-il efforcé de réaliser cet idéal de beauté plastique dans les Émaux et Camées ? Nul n’en a mieux défini l’intention artistique que Théo lui-même : « ce titre, dit-il, exprime le dessein de traiter sous forme restreinte de petits sujets, tantôt sur plaque d’or ou de cuivre, avec les vives couleurs de l’émail, tantôt avec la roue du graveur de pierres fines, sur l’agate, la cornaline ou l’onyx[4] ». Le poète a tous les soucis de l’artiste qui cherche la perfection dans sa lutte contre une matière difficile, presque ingrate. Il aime la difficulté à vaincre. En fait de mètre, il songe un instant au vers de neuf pieds, coupé par une césure après la quatrième syllabe. C’est ainsi qu’il esquisse d’abord sa fantaisie d’hiver :


Le doux printemps, captif sous la neige,
Semble dormir d’un pesant sommeil,
Blanc de frimas, l’hiver nous assiège,
Et nous enchaîne au foyer vermeil[5].


  1. R. D. D.-M., Ier avril 1841, p. 126.
  2. Moniteur du 11 janvier 1898.
  3. Rapport, p. 359.
  4. Rapport, p. 322.
  5. De Spœlberch, Histoire, II, 64.