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AVANT LE PARNASSE

Son instinct sûr l’éloigne vite d’un procédé qui ne plairait qu’au seul Verlaine. Il écarte également l’alexandrin trop vaste pour convenir à ces bijoux de petit format ; il s’en tient uniquement au vers de huit pieds, « qu’il refondit, polit et cisela avec tout le soin dont il était capable. Cette forme, non pas nouvelle, mais renouvelée par les soins du rythme, la richesse de la rime, et la précision que peut obtenir tout ouvrier patient, terminant à loisir une petite chose, fut accueillie favorablement », avoue-t-il, malgré sa modestie[1]. Mais aussi que de beauté il avait su enfermer dans ces petits cadres. On a déjà remarqué qu’il était impossible de substituer un autre mot à celui que l’auteur a trouvé, ni même de le déplacer, de toucher à la rime ou à l’allure du vers, sans tout gâter[2]. Pas une faute même de nuance, pas une faiblesse, pas une cheville même d’orthographe. J’avais cru en découvrir une dans Le Souper des armures :


Il ne voit ni laïcs ni prêtres,


et c’est une orthographe du xvie siècle, vieillie sans doute, mais usitée encore dans la prose en 1821[3].

Comment Théo a-t-il obtenu cette perfection que seuls avant lui avaient atteinte Racine et La Fontaine ? Ses intimes l’observent, rôdant par les étages de sa maison, l’air désœuvré, puis s’asseyant sur le tapis de sa chambre, écrivant ses brouillons sur le premier bout de papier venu ; une journée suffit pour une pièce : « rarement, dit Mme Judith Gautier, le jour s’achevait sans qu’il nous appelât pour nous montrer, soigneusement recopié, le poème terminé. J’ai vu naître ainsi Le Souper des armures[4] ». Le poète pourtant n’est pas encore satisfait ; d’une édition à l’autre il continue à corriger les quelques défaillances qui avaient pu échapper aux lecteurs les mieux avertis, mais que son œil de myope, grossissant les fautes comme une loupe, a bien su découvrir. Une seule fois la correction est malheureuse. Dans Bûchers et Tombeaux il avait mis d’abord :


En oubliant le monstre maigre
Que chacun porte sous sa peau,
Dans une insouciance allègre
Tous s’avançaient vers le tombeau[5].


  1. Rapport, p. 322-323.
  2. De Spœlberch, ibid., t. Ier, p. ix.
  3. Cf. l’édition de Pascal par François de Neufchateau, t. II, p. xxvi : « Laïcs et ecclésiastiques ».
  4. Revue de Paris, Ier avril 1903, p. 622.
  5. De Spœlberch. Histoire, II, 145.