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HISTOIRE DU PARNASSE

Théophile Gautier est bien le statuaire du vers, comme disait Charles Hugo[1]. C’est son imposante figure que nous voyons se dresser au début de la pré-histoire du Parnasse.

Ne voir, en lui que l’ancêtre des Parnassiens serait sans doute le restreindre. Il est assez grand pour projeter son ombre sur toute une époque. Il a donné des leçons d’écriture artiste, ou tout bonnement de français, même aux prosateurs, aux Goncourt, à Daudet, à Zola, à Flaubert lui-même : ce n’est pas uniquement par familiarité d’égal que ce dernier écrit à Théo, le 3 avril 1863 : « comment vas-tu, cher vieux Maître[2] ? » Cette maîtrise s’étend hors de France, depuis qu’il a été traduit en anglais par M. de Sumichrast[3]. Tout de même, son influence la plus forte, la plus facile à préciser, se concentre sur la poésie de la fin de l’Empire. Elle répond à un besoin de sa nature : révéler à ceux qui en sont dignes les procédés de son art, avoir des disciples, être professeur ès-vers. Son insuccès auprès de la Princesse Mathilde, qui est une mauvaise élève, ne le décourage pas[4]. Il rêve de fonder une Ecole quand il sera vieux : < je m’entourerai de jeunes gens, et je les initierai aux secrets de la forme et aux mystères de l’art. Ces mystères existent, et vous vous imaginez trop, vous autres, dit-il à Bergerat et à quelques jeunes, que l’on naît avec la science infuse. Tout s’apprend en ce monde, et l’art comme le reste. En résumé, qu’est-ce que l’art ? Une science aussi, la science du charme et de la beauté. Je convertirai mon salon en atelier de littérature, et je formerai des élèves. Les peintres mettent au bas de leur nom : élève de Gérôme ou de Cabanel ; pourquoi les poètes ne seraient-ils pas, eux aussi, élèves de V. Hugo ou de Théophile Gautier[5] ? » Est-ce une bouffée de vanité ? Il se rend simplement justice ; Laurent Tailhade affirme que tous les parnassiens procèdent de ce puissant initiateur[6]. Faguet admet deux exceptions seulement : Sully Prudhomme et Coppée[7]. Encore, est-ce une erreur, même pour Coppée, surtout pour Sully Prudhomme : nous pouvons l’affirmer, grâce à Gautier lui-même : il s’est vanté de l’influence des Émaux et Camées sur ses cadets : son

  1. De Spœlberch, Lundis, p. 56.
  2. Faguet, R. D. D.-M., 15 juillet 1911, p. 336-337 ; de Spœlberch, Lundis, p. 78.
  3. Vingt-quatre volumes, chez Sproul, Londres et New-York, 1901.
  4. Primoli, R. D. D.-M., 15 novembre 1925, p. 338.
  5. Bergerat, Th. Gautier, p. 75-76.
  6. Les Commérages de Tybalt, p. 294.
  7. R. D. D.-M., 15 juillet 1911, p. 338 ; cf. A. Fontainas, Mercure de France, 16 septembre 1911, p. 242.